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05/02/2016

TAILLE DE FAUSSES IDÉES

"Parmi les groupes plus ou moins révolutionnaires qui existent sur plusieurs continents (...) la maigreur et l’incongruité théoriques des uns et des autres atteint une borne au-delà de laquelle on ne voit plus rien".
Article paru en 1976. Alarme n°13 réédition n°40 octobre 1988 (40 ans après, rien n’a changé)

CONSCIENCE RÉVOLUTIONNAIRE ET  CLASSE  POUR  SOI

S'agissant des problèmes posés dans le monde actuel, qui sont ceux de la classe révolutionnaire, les groupes mentionnés ont dépassé à cette date, et de bien loin, la borne que nous avons indiquée il y a douze ans. Nous allons le préciser, car il ne s'agit pas de parler tout bonnement, ni de griffonner des pages et des pages pour peu de chose ou pour embrouiller, vice souvent étalé aujourd'hui comme une qualité.

La maigreur et l'incongruité théoriques principales, d'où en jaillissent d'autres, on la trouve dans l'estimation de la nature de notre époque. Tous répondent : "de très grande concentration mondiale du capital et de décadence" (toute exception se situerait idéologiquement à droite et ne mérite aucun commentaire). La maigreur et l'incongruité apparaissent dès qu'il s'agit de signaler le pourquoi et le comment de la concentration et de la décadence. Pour ce qui est de la première, la plupart se limitent à constater le fait, à l'instar du mouvement révolutionnaire entre les deux grandes guerres. Certains, cependant, portent l'absurde au comble en niant qu'il y ait croissance au-delà du cycle guerre- reconstruction-guerre. Ils interdisent au capitalisme mondial de dépasser le niveau de ce qu'il a détruit.

D'autres groupes, sans donner dans un travers aussi risible, acceptent l'idée de cycle, sauf en cas de Révolution, il va soi. Cependant tous ignorent que la concentration énorme du capital, quelque volume qu'ils lui accordent, a été rendue possible grâce à la défaite du prolétariat entre les deux guerres, prolongée après la dernière. Mais avant de revenir sur cela, il faut éclaircir où se trouve l'origine de la décadence, car il s'agit là de la principale caractéristique de l'actuelle période historique. Tous les groupes, sans exception connue, la voient dans une impossible croissance des instruments de production au sein du capitalisme actuel. Elle-même pousserait à la crise de surproduction dont ils ont tant jasé et celle-ci, à son tour, moyennant le chômage à grande échelle, engendrerait la mobilisation des masses et la conscience révolutionnaire. C'est ça leur matérialisme. Comme démonstration de l'existence de la crise ils présentaient le chômage, tandis que manquait ce qui blesse le capital, c'est-à dire ce qui origine cette sorte de crise. Outre cette bourde-là, les groupes en question se sont vu infliger un double démenti par le chômage. Ils attendaient une augmentation des luttes et leur radicalisation ("accélération de l'histoire", entendait-on dire d'une voix grave). Comme à dessein pour leur fermer la bouche, le nombre des luttes diminuait à proportion de l'augmentation du chômage, alors qu'elles se multiplient avec sa diminution.

L'événement capitaliste le plus important des dernières décennies a été l'avance prise par la technologie japonaise, rapetissant toutes les autres, celle des USA comprise. Les occidentaux, pour faire face à la compétitivité nipponne, entreprirent le renouvellement de leur machinerie et la réduction de leur main d'œuvre. C'est ce dernier facteur que les susdits groupes, superficiels, interprétèrent comme leur crise tant annoncée, prolégomènes d'une commotion révolutionnaire mondiale... ou de troisième guerre. Vingt années de leur, vie et des montagnes de publications gaspillées pour se voir finalement réfutés, sans appel possible, par la robotique et l'électronique qui prolongent la croissance capitaliste, seulement réduite auparavant.

Que la décadence du système se manifeste par l'incapacité de développer ses instruments de production, c'est une idée qui vient aussi de la Troisième Internationale et du Programme de Transition de Trotsky. Tous les groupes mentionnés ont été leurs prisonniers, malgré les dénégations de la réalité vivante. C'est ainsi qu'ils sont allés se submerger dans leur propre gâchis. Ils désorientent idéologiquement le prolétariat et contribuent à sa passivité. Ils tombent dans ce qu'ils voudraient pourtant éviter.
Quant à nous, nous nous répétons à nouveau, en écrivant que la décadence capitaliste est engendrée et répandue par la croissance actuelle de ses forces de production. La dernière d'entre elles, plus importante que toutes les antérieures, coexiste avec la décadence et la sécrète. S'il est vrai qu'autrefois la croissance comportait un développement social, à présent elle l'attaque, le pervertit, car croissance des instruments de production sous leur forme capitaliste et développement social s'entrechoquent irréductiblement. Le second doit impérativement, à fin de reprendre, se débarrasser de l'autre. C'est celle-là la contradiction suprême du capitalisme, qui est déterminée par la force humaine de travail, le prolétariat dans son acception la plus large, dont la marche en avant exige la domination des instruments de travail, et par conséquent, celle de son propre devenir. Comme il a été exposé dans l'éditorial d'Alarme n° 39, ce qui engendre la décadence, c'est le même facteur qui avait constitué le côté progressiste du système, à savoir, la croissance productive des instruments de travail en qualité de capital créé par l'exploitation salariale. Dès lors, la décadence s'introduit dès que les instruments de production accumulés permettent le passage à un système de développement social en rupture avec la relation capitaliste entre instruments de travail et travail humain. Or ces mêmes groupes s'acharnent à nier la croissance industrielle, contre une écrasante réalité et avec une assurance d'irresponsables ; en tout cas, il leur échappe entièrement sa nature décadente et délétère. Et ils ne voient en aucun cas comment, de cette réalité mondiale, se dégagent des propositions révolutionnaires susceptibles de redonner vigueur à l'activité des exploités directement contre le capitalisme.

De toute manière leur échafaudage théorique s'écroule et jusqu'au sol les portant qui devient du sable mouvant. Leur raisonnement même augmente leur désarroi. En effet, si le capitalisme se trouve en circuit fermé guerre-reconstruction- guerre, une crise de surproduction devient quelque chose de chimérique, car il suffit au système de transformer en ferraille une partie de son outillage, par la guerre ou comme on voudra, pour entreprendre encore une reconstruction... et empocher toujours de la plus-value. Mais alors, d'où viendrait et quand apparaîtrait la combattivité ouvrière et sa conscience ? Ce même circuit fermé empêche de comprendre la cause de la passivité et du scepticisme des masses, tellement durable ; il empêche aussi de comprendre les tâches révolutionnaires à se donner, aux révolutionnaires comme à tous les exploités. La première situation n'a pas été le fait de la répression bourgeoise, mais de l'irradiation mondiale de la contre-révolution russe barbouillée en socialiste. Les tâches à se donner, par contre, exigent une importante reconsidération théorique, qui n'a pas été entreprise, ou bien mal, par les tendances critiquées ici.'

Comble de la gaffe, la troisième guerre mondiale, annoncée comme proche, sinon imminente, est en train de laisser là plantés ses crieurs, énième version. Ils la voient s'éloigner à leur horizon temporel, par effet des armes thermonucléaires, chimiques, etc. dont la portée exterminatrice met à nu la caducité, la corruption, l'ultime sentence technologique de la décadence comme un tout. On l'a vu lors de l'épisode des missiles à Cuba. Tout de même, le danger ne disparaîtra qu'avec la relation sociale qui l'engendre : capital/salariat.

Cependant, les groupes dont il a été question ici ne trouveront pas la liaison avec les agitations ouvrières à venir sans qu'ils taillent eux-mêmes leurs idées dépassées ou entièrement fausses. En un mot, il faut prendre une nouvelle envolée théorique, ce qui revient à dire, d'activité pratique. C'est cela, toute pédanterie bannie, la praxis. Mais au contraire, ils semblent s'agripper- à leurs aberrations. Seule Battaglia Comunista insinue un certain changement. Dans son numéro de juillet elle dit "ne pas faire référence tant à la crise de surproduction" qu'à celle de décadence. Cela suffit pour nier l'existence de la première, et qu'elle se produise ou non, la dépouiller des vertus qui lui étaient accolées auparavant. Si l'on tire conséquemment ce bout de corde, d'autres changements se présenteront en file indienne.

Des symptômes précurseurs de nouvelles ouvertures révolutionnaires s'aperçoivent aux milieux du fracas mondial. Ceux de plus grande importance, les voici : la reprise de la croissance capitaliste, dont la nocivité aggravée permettra au prolétariat de se dresser contre le système ; la connaissance généralisée de l'effroyable vérité sur la contre-révolution russe et le mépris des masses envers ses partis ; l'irréversible rejet des syndicats par les travailleurs ; la mise en évidence des nationalismes, guerrillerismes, terrorismes et similaires, comme le fait des sujets et des partis avides d'exploiter leurs propres co-nationaux ; la nécessité, chaque jour plus pressante, de supprimer tous les armements militaires et les armées sans exception ; la poussée des exploités, très persistante, quoique retenue pour l'instant, vers une société sans classes et hautement développée.
1976. Alarme n°13   réédition n° 40 octobre 1988
PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSONS-NOUS,
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CRISE SOCIALE ET CHÔMAGE

                               Article paru dans Alarme No 11 Jan. Fev.Mars 1981
"Est-ce que les choses ont changé depuis ?"
Aujourd'hui tout progrès technologique ou scientifique de grande envergure, même apparemment pacifique se concrétise par une domination encore plus brutale du capitalisme sans aucune contre-partie pour l'ensemble de la société et plus particulièrement le prolétariat. Ainsi les énormes investissements engloutis dans la conquête de l'espace ont été fructifies dans le renforcement des arsenaux impérialistes. Les travaux effectués "au service de la science et du progrès" se  concrétisent   maintenant en satellites de surveillance ou de guidage plus précis de bombardement nucléaire. L'informatique qui s'est développée dans la foulée de ces gigantesques travaux sert maintenant de moyen de répression affiné et violent ; elle est introduite dans la production pour les tâches de gestion, de rationalisation, de stockage de renseignements et de surveillance. Les technocrates peuvent ainsi "conquérir l'espace... policier mondial en se servant plus systématiquement de l'Informatique pour la répression avec le fichage, la surveillance, la circulation (espionnage) d'informations.

De plus les nouveaux produits industriels sont testés, le plus souvent possible, sur le marché mondial le plus important de l'époque : la guerre. On ne dépense pas moins d'un million de dollars par minute dans le monde pour la production de guerre ! Non seulement la guerre permet de tester les nouveaux produits, mais surtout elle est un magnifique champ d'élaboration technique et scientifique, un laboratoire généreux en découvertes un facteur important de progrès qui se concrétise par de nouveaux produits sur le marché de la guerre... économique. Le cercle vicieux se referme. Le capitalisme dans son ensemble ne peut plus apporter quoi que ce soit de bénéfique pour l'humanité, il est socialement nocif : il est décadent. En effet nous vivons une période où ce système, ayant conquis la planète, a rempli son rôle historique progressiste par rapport au système précédent et dès lors se trouve être caduc. Ainsi le capitalisme a unifié le monde par le lien social du capital (lien non humain) et a développé mondialement et puissamment son antagoniste irréductible, sa négation historique : le prolétariat.

Il a réalisé les " conditions objectives" de la révolution communiste {cf. Alarme n° 6), Cette période s'est concrètement ouverte avec la première guerre mondial de 1914-18 et la vague révolutionnaire, mondiale elle aussi, qui l'a suivie (1917-37) montrant dans les fait la caducité de ce mode de production. A cette caducité historique* correspond sa manifestation sociale : la décadence. Cette crise fondamentale du capitalisme est une crise sociale définitive qui se manifeste indépendamment de la bonne ou mauvaise marche de l'économie capitaliste. La croissance économique elle-même est devenue néfaste au progrès de l'humanité.

L'ensemble du "progrès" appliqué à la production (facteur de la croissance économique) détermine la restructuration du système économique ce qui entraine des heurts au sein de la sphère capitaliste : fermeture d’usines, écroulement de pans entiers de l'économie qui ne sont plus adaptés (rentables) face aux nouveaux moyens de production mis en œuvre, d'où un important chômage. En revanche de nouveaux secteurs industriels se créent ou s’étendent, utilisant les nouvelles technologies un personnel plus réduit et un fort système de sous-traitance (comme le font la plupart des grandes compagnies japonaises). Depuis que la prétendue crise économique sévit, les plus grandes entreprises capitalistes du monde, dans leur majorité, ne cessent de faire des profits et de participer à la croissance économique. Or dans une crise économique, mêmes les plus puissantes compagnies capitalistes se trouvent au moins très proche de la ruine, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.

Quant- au prolétariat, quelque soit l'état économique du système, il est toujours perdant, ne serait-ce que par la perpétuation de l'exploitation. Rien ne permet aujourd'hui de conclure à une crise économique "mortelle" du capitalisme, crise sensée provoquer la "prise de conscience " révolutionnaire du prolétariat jeté dans la misère la plus noire. Le capitalisme peut malheureusement très bien survivre avec une économie "assainie" (où les capitalistes les plus faibles auraient été éliminés),  encore plus concentrée et plus étatisée, avec un volant de chômage plus important que précédemment. En 1965, les économistes américains estimaient que pour les USA 4 à 5 millions de Chômeurs était une armée de réserve normale en dehors de tout contexte de crise économique»
Quant à la radicalisation ouvrière qu'entraînerait une crise économique, force est de constater que cette radicalisation ne serait pas inéluctable et même qu'elle serait en fait freinée par une crise économique. Ainsi la crise de 1929 a eu pour conséquence, principalement aux Etats-Unis de diviser la classe ouvrière en chômeurs d'une part et d'autres part en travailleurs avec un emploi qui ont lutte (parfois violemment) uniquement pour préserver cet emploi. Quelques chômeurs radicalisés se sont regroupés pour lutter mais se sont séparés dès que les capitalistes ont réembauché sur une large échelle ; ils sont de toute façon très minoritaires, l'immense majorité des chômeurs ayant été réduite à un vagabondage excluant toute lutte de classe-, une classe ouvrière en vagabondage, n’est pas une classe ouvrière.
Le processus de formation de la conscience révolutionnaire du prolétariat ne peut s'expliquer ni par des recettes ni par des régimes alimentaires : les prolétaires trop gras et corrompus par le système devant maigrir, les squelettiques devant grossir pour avoir la force de se rebeller, les autres (par exemple les polonais) devant surveiller étroitement leur "ligne". La conscience révolutionnaire ne surgit pas de la nausée bileuse d'un ventre creux ou du vomissement gras d'un ventre plein. En effet  la révolution ne peut être un phénomène purement passif (le prolétariat "contraint" de s'affronter au capital) ni un phénomène purement volontaire : elle est le produit de la confrontation de ces deux phénomènes. C'est-à-dire que la conscience vient du choc du désir d'humanité (et donc des potentialités de réalisation de ses désirs) du prolétaire et de sa situation matérielle inhumaine et dégradante. Plus que jamais la contradiction est criante entre les potentialités développées par ce système et les conditions d'abrutissement physique et intellectuel faites aux prolétaires de tous les pays.
Si toute la pourriture présente subsiste encore sur la croûte terrestre, c'est parce que le prolétariat des pays les plus puissants n'a pas la force et ne se donne pas les moyens d'abattre ce système anti-humain. Notre tâche est de montrer que cette force ne peut s'acquérir que par l'organisation indépendante des ouvriers, chômeurs, intérimaires et travailleurs unis par delà toutes les barrières entretenues par ce système d'exploitation salariée, pour la destruction radicale de l'ordre existant.
Article paru dans Alarme No 11 Jan.Fev.Mars 1981
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CONSCIENCE DE CLASSE ET RÔLE DES RÉVOLUTIONNAIRES

CONSCIENCE  DE  CLASSE ET RÔLE DES RÉVOLUTIONNAIRES
Article paru dans Alarme No 11 Jan. Fev. Mars 1981

Trop souvent lorsqu'on s'exprime, on a tendance à confondre deux termes qui ne sont nullement équivalents à savoir la lutte de classe et la conscience de classe. En effet, la lutte de classe existe à tout moment parce que la société est divisée en classes sociales et que la lutte d'intérêts, pour aussi infime que soit son expression, est inhérente à tout système d'exploitation. La conscience de classe, elle, bien que ne pouvant exister que par la lutte antagonique des classes sociales de la société, n'apparait pas automatiquement, mécaniquement et de manière linéaire» C'est cela que nous allons traiter le plus simplement possible, Pour aborder le problème de la conscience de classe nous partirons de deux idées fondamentales à nos yeux. La première est que l'existence précède la conscience. Là deuxième, indispensable et venant compléter la première pour ne pas tomber dans un matérialisme vulgaire et mécanique nous la tirons des thèses sur Feuerbach (IIIe thèse) de Marx.
" La doctrine matérialiste qui veut que les hommes soient des produits des circonstances et de l'éducation, que par conséquent, des hommes transformés soient des produits d'autres circonstances et d'une éducation modifiée, oublie que ce sont précisément les hommes qui transforment les circonstances et que l'éducateur a lui-même besoin d'être éduqué “.
En clair ce qui est indispensable de comprendre par là, c'est qu’il n'y a pas une conscience pure, idéale qui plane dans les airs et qu'il faudrait chercher à atteindre. La conscience en général, et la conscience de classe en particulier ne sont point des produits géniaux ou diaboliques du cerveau mais la conséquence directe de l'existence matérielle de l'homme dans la société. Cependant, et ceci est extrêmement important pour ne pas tomber dans un mécanisme stérile, les individus ont eux-mêmes un rôle très important à jouer dans et par rapport à la conscience de classe, une fois que les bases matérielles sont présentes. C'est-à-dire que le matérialisme historique parceque dialectique n'exclut pas, bien au contraire, une fois les données objectives présentes, l'apport important et décisif du facteur subjectif.

Ce qui vient d'être exprimé ici, est confirmé matériellement par l'histoire. La conscience de classe se manifeste, s'exprime de manière différente et à des degrés divers suivant les classes sociales et les situations spécifiques. Cette conscience de classe ne tombe pas du ciel, elle n'est le fruit d'aucune divinité quelque soit le nom qu'elle adopte (Dieu, le Parti, l'Organisation, la classe ouvrière, l'intelligentsia etc..,) mais bel et bien le produit de l'antagonisme social entre une ou plusieurs classes sociales de la société. Cet antagonisme est lui-même le produit de l'opposition d'intérêts, intérêts provenant des conditions matérielles d'existence. Il est clair que la seigneurie, bien que dépendante de la noblesse, et la noblesse elle-même avaient des intérêts distincts et opposés à ceux des serfs de même la bourgeoisie détentrice des moyens de production dans la société capitaliste a des intérêts qui vont à 1'encontre du prolétariat dont elle tire le bénéfice. De cet antagonisme apparait la lutte de classe et à-travers cette dernière une certaine conscience de classe.

Voyons de plus près avec quelques faits historiques. En tant que classe, la bourgeoisie avait des intérêts qui ne pouvaient totalement s'exprimer au sein du mode de production féodal» Celle-ci occupait en tant que classe à la veille de la révolution bourgeoise le premier rang dans la société par sa richesse et sa culture face à une aristocratie en pleine décadence dont la domination ne correspondait plus au niveau atteint par les forces productives en plein essor et constituait autant d'entraves pour le progrès social, unie la bourgeoisie s'appuyant sur les couches plus exploitées de la société balayant l'ancien régime. Instaurant une nouvelle société d'exploitation, les intérêts et la conscience de classe ne pouvaient disparaître puisque les classes sociales elles-mêmes allaient subsister. La bourgeoisie, consciente de ses propres intérêts, était confrontée d'une part aux derniers vestiges de la société féodale, à la classe défendant ces derniers vestiges, et d'autre part à la classe sociale, le prolétariat, qui allait prendre de plus en plus d'importance- au fur et à mesure du développement des nouveaux rapports de production basés sur le travail salarié: le capitalisme.

Cependant il serait absurde de croire qu'une fois au pouvoir, la bourgeoisie avec un grand "B" allait rester unie et indivisible. En effet, les rapports de production par elle instaurés n’ayant rien à voir avec la constitution d'une société humaine mais bel et bien avec une société basée sur le profit, allait donner naissance à des luttes intestines, luttes n'ayant bien entendu rien à voir avec la lutte de classe. Mais ce qui est intéressant de montrer, c'est que l'unité de la bourgeoisie et par conséquent sa conscience de classe réapparaissent lorsqu'un secteur ne faisant pas partie de sa classe lutte pour ses intérêts propres et met en danger son pouvoir, C'est ce qui se passera de façon chaque fois plus nette depuis les journées de Février puis de Juin 1648 en passant par la Commune de Paris jusqu'à principalement la vague internationale de 1917-37 ( de la révolution russe jusqu'à la révolution espagnole ). Le prolétariat s'est historiquement déjà montré en tant que force indépendante et qui plus est en force internationale capable et désirant abattre l'abject système d'exploitation de l'homme par l'homme.

Ce que nous pouvons d'ores et déjà dire, c'est que le prolétariat par sa seule existence, est la critique, la négation de ces formes d'existences et par conséquent la négation de son existence même et de celle de la société divisée en classes sociales. Le prolétariat en tant que classe n'a aucune autre classe en dessous de lui' à exploiter et par sa révolution il ne peut instaurer que la communauté humaine par la suppression des classes sociales. Mais notons dès maintenant, que malgré l'expérience pratique du prolétariat en lutte, seules des minorités peuvent être conscientes de cela au sein du capitalisme. Mais nous y reviendrons plus loin.

La conscience de classe n’apparaît donc pas subitement et encore moins mécaniquement, Entre la conscience d'appartenir à une classe et la conscience révolutionnaire exprimant clairement  théoriquement et pratiquement la volonté d'une transformation radicale de la société, il n'y a pas, il ne peut pas y avoir une lente évolution progressive. Ce processus se fait lui-même par bonds quantitatifs et qualitatifs, par des bonds en avant mais également par d'énormes bonds en arrière (ex: la domination quasi totale du capitalisme sur le prolétariat grâce à la contre-révolution russe et au stalinisme). L'existence matérielle d'une classe n'implique pas à elle seule une conscience de classe et encore moins une conscience révolutionnaire. Un large extrait du manifeste du Parti communiste de Marx et d’Engels le montre assez clairement :
"Le prolétariat passe par différentes phases d'évolution. Sa lutte contre la bourgeoisie commence avec son existence même, La lutte est engagée d'abord par des ouvriers isolés ensuite par les ouvriers d'une même fabrique, enfin par les ouvriers d'une même branche d'industrie, dans une même localité, contre les bourgeois qui les exploitent directement. Ils ne dirigent pas seulement leurs attaques contre les rapports bourgeois de production ; ils les dirigent contre les instruments de production eux-mêmes ; ils détruisent les marchandises étrangères qui leur font concurrence, brisent les machines, brûlent les fabriques et s'efforcent de reconquérir la position perdue de l'artisan du Moyen Age“.
“A ce stade le prolétariat forme une masse disséminée à travers le pays et émiettée par la concurrence. S'il arrive que les ouvriers se soutiennent par l'action de masse, ce n'est pas encore là le résultat de leur propre union, mais de celle de la bourgeoisie qui pour atteindre ses fins politiques propres, doit mettre en branle ,1e prolétariat tout entier, et qui possède encore provisoirement le pouvoir de le faire? Durant cette phase, les prolétaires ne combattent donc pas leurs propres ennemi “ c'est-à-dire les vestiges de la monarchie absolue propriétaires fonciers, bourgeois non industriels, petits bourgeois, Tout le mouvement historique est de la sorte concentré entre les mains de la bourgeoisie. Toute victoire remportée dans ces conditions est une victoire bourgeoise."

La lutte de classe n'exprime donc pas en soi une conscience de classe révolutionnaire. L'histoire montre uniquement que c'est dans la lutte que le prolétariat est susceptible de se constituer en classe indépendante, en classe révolutionnaire et que c'est par elle que se développe la conscience de classe, c'est pour cela qu'il faut distinguer l'ensemble de la classe et les minorités s'étant appropriées l'histoire de la lutte de classe et ayant une conscience plus ou moins claire de l'objectif historique à réaliser ( ces minorités pouvant provenir de la classe elle-même au cours de lutte et/ou de personnes sociologiquement extérieures à la classe ouvrières mais ayant pris partie pour ce qu'historiquement elle est supposée devoir être). Le prolétariat par sa pratique a presque toujours tendance à dépasser la conscience qu'il a de cette pratique, mais ce n'est jamais l'ensemble de la classe qui appréhende et tire les leçons de la lutte de classe passée ou présente. 

C'est dans cette mesure qu'un Lénine disait que le prolétariat par ses simples luttes défensives ne pouvait accéder qu'à une conscience trade-unioniste et concluait qu'il n'y avait pas de pratique révolutionnaire sans théorie révolutionnaire, c'est-à-dire sans avant-garde organisée, mais cette conception pour le moins bancale ainsi que l'ensemble de la théorie qui s'y rattache par rapport à 1'organisation ( le savoir révolutionnaire ) et la classe négligent totalement l'aspect dialectique de la question même si leurs défenseurs le revendiquent. En effet s'il est vrai que sans théorie révolutionnaire il n'y a pas de pratique révolutionnaire, il n'en est pas moins vrai qu'il n'y a pas de théorie révolutionnaire sans pratique révolutionnaire. La théorie ne tombe pas du ciel, elle n'est pas le produit exclusif d'un génial cerveau émancipateur. Marx n'a-t-il pas rectifié sa position sur l'Etat après l'expérience pratique de la commune de Paris ? Les bolcheviks d'ailleurs n'ont-ils pas changé leur position sur les conseils ouvriers après l'expérience pratique de 1905 en Russie ?

Critiquer, rejeter, combattre cette conception de l'organisation et par conséquent la théorie suivant laquelle la conscience révolutionnaire ne peut venir que de 1'extérieur de la classe, ne signifie pas que nous tombions dans l'absurde croyance mythique d'un prolétariat devenant spontanément révolutionnaire, à moins d'inclure dans cette spontanéité la pratique d'éléments plus déterminés œuvrant dans la lutte prolétarienne pour la disparition des classes sociales. Mais dans cette hypothèse Lénine, Bordiga, ou tout autre "bestial dirigeant bureaucratique" font partie de cette spontanéité car à moins de croire aux miracles et à la communion solennelle, aucun mouvement social n’apparaît sans la-détermination plus ou moins consciente d'une de ses parties, aussi infime et aussi anti-dirigiste soit-elle.

Par conséquent, les révolutionnaires organisés ne se trouvent ni au-delà ni en deçà du prolétariat, ils en font tout autant partie que n'importe quel comité d'usine, quand comité révolutionnaire il y a. Leur intervention au sein de la lutte de classe doit donc être totale à tous les niveaux (organisationnel, politique et social) et tant mieux si le mouvement social dépose leurs propres conceptions dans la lutte. Malheureusement nous n'en sommes pas là. C'est pour cela que les argumentations du type : "pas la peine d'avancer des revendications en vue d'attaquer le capitalisme, c'est à la classe de le faire, elle l'a déjà fait , pas la peine de contribuer à 1!organisation du prolétariat, c'est au prolétariat de le faire, il en a déjà donné la preuve, c'est pour cela qu'elles sont d'une inconséquence totale" Car au nom d'un démocratisme à toute épreuve cette argumentation résulte tout aussi anti-dialectique et en tout cas beaucoup plus inopérante ( en bien ou en mal peu importe ici ) que la position du Parti ou de l'Organisation infaillible s'octroyant la possession exclusive de la conscience de classe qu'elle va gracieusement offrir au pauvre petit prolétariat inculte.
Ce n'est pas l'acceptation des termes Parti ou Organisation qui changeront quoi que ce soit, si dans la pratique, malgré la propagande de principe, on s'en remet à ce qui est faussement appelé spontanéité. Si l’on affirme que les révolutionnaires sont une partie plus consciente et décidée de l'ensemble du prolétariat il faut également affirmer qu'ils font partie de la spontanéité de classe. Sans quoi qu'on “le veuille ou non“ on se situe comme élément étranger au mouvement historique de classe.

                                                Article paru dans Alarme No 11 Jan. Fev. Mars 1981