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05/02/2016

CONSCIENCE DE CLASSE ET RÔLE DES RÉVOLUTIONNAIRES

CONSCIENCE  DE  CLASSE ET RÔLE DES RÉVOLUTIONNAIRES
Article paru dans Alarme No 11 Jan. Fev. Mars 1981

Trop souvent lorsqu'on s'exprime, on a tendance à confondre deux termes qui ne sont nullement équivalents à savoir la lutte de classe et la conscience de classe. En effet, la lutte de classe existe à tout moment parce que la société est divisée en classes sociales et que la lutte d'intérêts, pour aussi infime que soit son expression, est inhérente à tout système d'exploitation. La conscience de classe, elle, bien que ne pouvant exister que par la lutte antagonique des classes sociales de la société, n'apparait pas automatiquement, mécaniquement et de manière linéaire» C'est cela que nous allons traiter le plus simplement possible, Pour aborder le problème de la conscience de classe nous partirons de deux idées fondamentales à nos yeux. La première est que l'existence précède la conscience. Là deuxième, indispensable et venant compléter la première pour ne pas tomber dans un matérialisme vulgaire et mécanique nous la tirons des thèses sur Feuerbach (IIIe thèse) de Marx.
" La doctrine matérialiste qui veut que les hommes soient des produits des circonstances et de l'éducation, que par conséquent, des hommes transformés soient des produits d'autres circonstances et d'une éducation modifiée, oublie que ce sont précisément les hommes qui transforment les circonstances et que l'éducateur a lui-même besoin d'être éduqué “.
En clair ce qui est indispensable de comprendre par là, c'est qu’il n'y a pas une conscience pure, idéale qui plane dans les airs et qu'il faudrait chercher à atteindre. La conscience en général, et la conscience de classe en particulier ne sont point des produits géniaux ou diaboliques du cerveau mais la conséquence directe de l'existence matérielle de l'homme dans la société. Cependant, et ceci est extrêmement important pour ne pas tomber dans un mécanisme stérile, les individus ont eux-mêmes un rôle très important à jouer dans et par rapport à la conscience de classe, une fois que les bases matérielles sont présentes. C'est-à-dire que le matérialisme historique parceque dialectique n'exclut pas, bien au contraire, une fois les données objectives présentes, l'apport important et décisif du facteur subjectif.

Ce qui vient d'être exprimé ici, est confirmé matériellement par l'histoire. La conscience de classe se manifeste, s'exprime de manière différente et à des degrés divers suivant les classes sociales et les situations spécifiques. Cette conscience de classe ne tombe pas du ciel, elle n'est le fruit d'aucune divinité quelque soit le nom qu'elle adopte (Dieu, le Parti, l'Organisation, la classe ouvrière, l'intelligentsia etc..,) mais bel et bien le produit de l'antagonisme social entre une ou plusieurs classes sociales de la société. Cet antagonisme est lui-même le produit de l'opposition d'intérêts, intérêts provenant des conditions matérielles d'existence. Il est clair que la seigneurie, bien que dépendante de la noblesse, et la noblesse elle-même avaient des intérêts distincts et opposés à ceux des serfs de même la bourgeoisie détentrice des moyens de production dans la société capitaliste a des intérêts qui vont à 1'encontre du prolétariat dont elle tire le bénéfice. De cet antagonisme apparait la lutte de classe et à-travers cette dernière une certaine conscience de classe.

Voyons de plus près avec quelques faits historiques. En tant que classe, la bourgeoisie avait des intérêts qui ne pouvaient totalement s'exprimer au sein du mode de production féodal» Celle-ci occupait en tant que classe à la veille de la révolution bourgeoise le premier rang dans la société par sa richesse et sa culture face à une aristocratie en pleine décadence dont la domination ne correspondait plus au niveau atteint par les forces productives en plein essor et constituait autant d'entraves pour le progrès social, unie la bourgeoisie s'appuyant sur les couches plus exploitées de la société balayant l'ancien régime. Instaurant une nouvelle société d'exploitation, les intérêts et la conscience de classe ne pouvaient disparaître puisque les classes sociales elles-mêmes allaient subsister. La bourgeoisie, consciente de ses propres intérêts, était confrontée d'une part aux derniers vestiges de la société féodale, à la classe défendant ces derniers vestiges, et d'autre part à la classe sociale, le prolétariat, qui allait prendre de plus en plus d'importance- au fur et à mesure du développement des nouveaux rapports de production basés sur le travail salarié: le capitalisme.

Cependant il serait absurde de croire qu'une fois au pouvoir, la bourgeoisie avec un grand "B" allait rester unie et indivisible. En effet, les rapports de production par elle instaurés n’ayant rien à voir avec la constitution d'une société humaine mais bel et bien avec une société basée sur le profit, allait donner naissance à des luttes intestines, luttes n'ayant bien entendu rien à voir avec la lutte de classe. Mais ce qui est intéressant de montrer, c'est que l'unité de la bourgeoisie et par conséquent sa conscience de classe réapparaissent lorsqu'un secteur ne faisant pas partie de sa classe lutte pour ses intérêts propres et met en danger son pouvoir, C'est ce qui se passera de façon chaque fois plus nette depuis les journées de Février puis de Juin 1648 en passant par la Commune de Paris jusqu'à principalement la vague internationale de 1917-37 ( de la révolution russe jusqu'à la révolution espagnole ). Le prolétariat s'est historiquement déjà montré en tant que force indépendante et qui plus est en force internationale capable et désirant abattre l'abject système d'exploitation de l'homme par l'homme.

Ce que nous pouvons d'ores et déjà dire, c'est que le prolétariat par sa seule existence, est la critique, la négation de ces formes d'existences et par conséquent la négation de son existence même et de celle de la société divisée en classes sociales. Le prolétariat en tant que classe n'a aucune autre classe en dessous de lui' à exploiter et par sa révolution il ne peut instaurer que la communauté humaine par la suppression des classes sociales. Mais notons dès maintenant, que malgré l'expérience pratique du prolétariat en lutte, seules des minorités peuvent être conscientes de cela au sein du capitalisme. Mais nous y reviendrons plus loin.

La conscience de classe n’apparaît donc pas subitement et encore moins mécaniquement, Entre la conscience d'appartenir à une classe et la conscience révolutionnaire exprimant clairement  théoriquement et pratiquement la volonté d'une transformation radicale de la société, il n'y a pas, il ne peut pas y avoir une lente évolution progressive. Ce processus se fait lui-même par bonds quantitatifs et qualitatifs, par des bonds en avant mais également par d'énormes bonds en arrière (ex: la domination quasi totale du capitalisme sur le prolétariat grâce à la contre-révolution russe et au stalinisme). L'existence matérielle d'une classe n'implique pas à elle seule une conscience de classe et encore moins une conscience révolutionnaire. Un large extrait du manifeste du Parti communiste de Marx et d’Engels le montre assez clairement :
"Le prolétariat passe par différentes phases d'évolution. Sa lutte contre la bourgeoisie commence avec son existence même, La lutte est engagée d'abord par des ouvriers isolés ensuite par les ouvriers d'une même fabrique, enfin par les ouvriers d'une même branche d'industrie, dans une même localité, contre les bourgeois qui les exploitent directement. Ils ne dirigent pas seulement leurs attaques contre les rapports bourgeois de production ; ils les dirigent contre les instruments de production eux-mêmes ; ils détruisent les marchandises étrangères qui leur font concurrence, brisent les machines, brûlent les fabriques et s'efforcent de reconquérir la position perdue de l'artisan du Moyen Age“.
“A ce stade le prolétariat forme une masse disséminée à travers le pays et émiettée par la concurrence. S'il arrive que les ouvriers se soutiennent par l'action de masse, ce n'est pas encore là le résultat de leur propre union, mais de celle de la bourgeoisie qui pour atteindre ses fins politiques propres, doit mettre en branle ,1e prolétariat tout entier, et qui possède encore provisoirement le pouvoir de le faire? Durant cette phase, les prolétaires ne combattent donc pas leurs propres ennemi “ c'est-à-dire les vestiges de la monarchie absolue propriétaires fonciers, bourgeois non industriels, petits bourgeois, Tout le mouvement historique est de la sorte concentré entre les mains de la bourgeoisie. Toute victoire remportée dans ces conditions est une victoire bourgeoise."

La lutte de classe n'exprime donc pas en soi une conscience de classe révolutionnaire. L'histoire montre uniquement que c'est dans la lutte que le prolétariat est susceptible de se constituer en classe indépendante, en classe révolutionnaire et que c'est par elle que se développe la conscience de classe, c'est pour cela qu'il faut distinguer l'ensemble de la classe et les minorités s'étant appropriées l'histoire de la lutte de classe et ayant une conscience plus ou moins claire de l'objectif historique à réaliser ( ces minorités pouvant provenir de la classe elle-même au cours de lutte et/ou de personnes sociologiquement extérieures à la classe ouvrières mais ayant pris partie pour ce qu'historiquement elle est supposée devoir être). Le prolétariat par sa pratique a presque toujours tendance à dépasser la conscience qu'il a de cette pratique, mais ce n'est jamais l'ensemble de la classe qui appréhende et tire les leçons de la lutte de classe passée ou présente. 

C'est dans cette mesure qu'un Lénine disait que le prolétariat par ses simples luttes défensives ne pouvait accéder qu'à une conscience trade-unioniste et concluait qu'il n'y avait pas de pratique révolutionnaire sans théorie révolutionnaire, c'est-à-dire sans avant-garde organisée, mais cette conception pour le moins bancale ainsi que l'ensemble de la théorie qui s'y rattache par rapport à 1'organisation ( le savoir révolutionnaire ) et la classe négligent totalement l'aspect dialectique de la question même si leurs défenseurs le revendiquent. En effet s'il est vrai que sans théorie révolutionnaire il n'y a pas de pratique révolutionnaire, il n'en est pas moins vrai qu'il n'y a pas de théorie révolutionnaire sans pratique révolutionnaire. La théorie ne tombe pas du ciel, elle n'est pas le produit exclusif d'un génial cerveau émancipateur. Marx n'a-t-il pas rectifié sa position sur l'Etat après l'expérience pratique de la commune de Paris ? Les bolcheviks d'ailleurs n'ont-ils pas changé leur position sur les conseils ouvriers après l'expérience pratique de 1905 en Russie ?

Critiquer, rejeter, combattre cette conception de l'organisation et par conséquent la théorie suivant laquelle la conscience révolutionnaire ne peut venir que de 1'extérieur de la classe, ne signifie pas que nous tombions dans l'absurde croyance mythique d'un prolétariat devenant spontanément révolutionnaire, à moins d'inclure dans cette spontanéité la pratique d'éléments plus déterminés œuvrant dans la lutte prolétarienne pour la disparition des classes sociales. Mais dans cette hypothèse Lénine, Bordiga, ou tout autre "bestial dirigeant bureaucratique" font partie de cette spontanéité car à moins de croire aux miracles et à la communion solennelle, aucun mouvement social n’apparaît sans la-détermination plus ou moins consciente d'une de ses parties, aussi infime et aussi anti-dirigiste soit-elle.

Par conséquent, les révolutionnaires organisés ne se trouvent ni au-delà ni en deçà du prolétariat, ils en font tout autant partie que n'importe quel comité d'usine, quand comité révolutionnaire il y a. Leur intervention au sein de la lutte de classe doit donc être totale à tous les niveaux (organisationnel, politique et social) et tant mieux si le mouvement social dépose leurs propres conceptions dans la lutte. Malheureusement nous n'en sommes pas là. C'est pour cela que les argumentations du type : "pas la peine d'avancer des revendications en vue d'attaquer le capitalisme, c'est à la classe de le faire, elle l'a déjà fait , pas la peine de contribuer à 1!organisation du prolétariat, c'est au prolétariat de le faire, il en a déjà donné la preuve, c'est pour cela qu'elles sont d'une inconséquence totale" Car au nom d'un démocratisme à toute épreuve cette argumentation résulte tout aussi anti-dialectique et en tout cas beaucoup plus inopérante ( en bien ou en mal peu importe ici ) que la position du Parti ou de l'Organisation infaillible s'octroyant la possession exclusive de la conscience de classe qu'elle va gracieusement offrir au pauvre petit prolétariat inculte.
Ce n'est pas l'acceptation des termes Parti ou Organisation qui changeront quoi que ce soit, si dans la pratique, malgré la propagande de principe, on s'en remet à ce qui est faussement appelé spontanéité. Si l’on affirme que les révolutionnaires sont une partie plus consciente et décidée de l'ensemble du prolétariat il faut également affirmer qu'ils font partie de la spontanéité de classe. Sans quoi qu'on “le veuille ou non“ on se situe comme élément étranger au mouvement historique de classe.

                                                Article paru dans Alarme No 11 Jan. Fev. Mars 1981

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