CONSCIENCE DE CLASSE
ET RÔLE DES
RÉVOLUTIONNAIRES
Article paru dans
Alarme No 11 Jan. Fev. Mars 1981
Trop
souvent lorsqu'on s'exprime, on a tendance à confondre deux termes qui ne sont
nullement équivalents à savoir la lutte de classe et la conscience de classe.
En effet, la lutte de classe existe à tout moment parce que la société est
divisée en classes sociales et que la lutte d'intérêts, pour aussi infime que
soit son expression, est inhérente à tout système d'exploitation. La conscience
de classe, elle, bien que ne pouvant exister que par la lutte antagonique des
classes sociales de la société, n'apparait pas automatiquement, mécaniquement
et de manière linéaire» C'est cela que nous allons traiter le plus simplement
possible, Pour aborder le problème de la conscience de classe nous partirons de
deux idées fondamentales à nos yeux. La première est que l'existence précède la
conscience. Là deuxième, indispensable et venant compléter la première pour ne
pas tomber dans un matérialisme vulgaire et mécanique nous la tirons des thèses
sur Feuerbach (IIIe thèse) de Marx.
" La doctrine matérialiste qui veut que les hommes
soient des produits des circonstances et de l'éducation, que par conséquent,
des hommes transformés soient des produits d'autres circonstances et d'une
éducation modifiée, oublie que ce sont précisément les hommes qui transforment
les circonstances et que l'éducateur a lui-même besoin d'être éduqué “.
En
clair ce qui est indispensable de comprendre par là, c'est qu’il n'y a pas une
conscience pure, idéale qui plane dans les airs et qu'il faudrait chercher à
atteindre. La conscience en général, et la conscience de classe en particulier
ne sont point des produits géniaux ou diaboliques du cerveau mais la
conséquence directe de l'existence matérielle de l'homme dans la société. Cependant,
et ceci est extrêmement important pour ne pas tomber dans un mécanisme stérile,
les individus ont eux-mêmes un rôle très important à jouer dans et par rapport
à la conscience de classe, une fois que les bases matérielles sont présentes.
C'est-à-dire que le matérialisme historique parceque dialectique n'exclut pas,
bien au contraire, une fois les données objectives présentes, l'apport important
et décisif du facteur subjectif.
Ce
qui vient d'être exprimé ici, est confirmé matériellement par l'histoire. La
conscience de classe se manifeste, s'exprime de manière différente et à des
degrés divers suivant les classes sociales et les situations spécifiques. Cette
conscience de classe ne tombe pas du ciel, elle n'est le fruit d'aucune
divinité quelque soit le nom qu'elle adopte (Dieu, le Parti, l'Organisation, la
classe ouvrière, l'intelligentsia etc..,) mais bel et bien le produit de
l'antagonisme social entre une ou plusieurs classes sociales de la société. Cet
antagonisme est lui-même le produit de l'opposition d'intérêts, intérêts
provenant des conditions matérielles d'existence. Il est clair que la seigneurie,
bien que dépendante de la noblesse, et la noblesse elle-même avaient des
intérêts distincts et opposés à ceux des serfs de même la bourgeoisie
détentrice des moyens de production dans la société capitaliste a des intérêts
qui vont à 1'encontre du prolétariat dont elle tire le bénéfice. De cet
antagonisme apparait la lutte de classe et à-travers cette dernière une
certaine conscience de classe.
Voyons
de plus près avec quelques faits historiques. En tant que classe, la
bourgeoisie avait des intérêts qui ne pouvaient totalement s'exprimer au sein
du mode de production féodal» Celle-ci occupait en tant que classe à la veille
de la révolution bourgeoise le premier rang dans la société par sa richesse et
sa culture face à une aristocratie en pleine décadence dont la domination ne
correspondait plus au niveau atteint par les forces productives en plein essor
et constituait autant d'entraves pour le progrès social, unie la bourgeoisie
s'appuyant sur les couches plus exploitées de la société balayant l'ancien
régime. Instaurant une nouvelle société d'exploitation, les intérêts et la
conscience de classe ne pouvaient disparaître puisque les classes sociales
elles-mêmes allaient subsister. La bourgeoisie, consciente de ses propres
intérêts, était confrontée d'une part aux derniers vestiges de la société
féodale, à la classe défendant ces derniers vestiges, et d'autre part à la
classe sociale, le prolétariat, qui allait prendre de plus en plus
d'importance- au fur et à mesure du développement des nouveaux rapports de
production basés sur le travail salarié: le capitalisme.
Cependant
il serait absurde de croire qu'une fois au pouvoir, la bourgeoisie avec un
grand "B" allait rester unie et
indivisible. En effet, les rapports de production par elle instaurés n’ayant
rien à voir avec la constitution d'une société humaine mais bel et bien avec
une société basée sur le profit, allait donner naissance à des luttes
intestines, luttes n'ayant bien entendu rien à voir avec la lutte de classe.
Mais ce qui est intéressant de montrer, c'est que l'unité de la bourgeoisie et
par conséquent sa conscience de classe réapparaissent lorsqu'un secteur ne
faisant pas partie de sa classe lutte pour ses intérêts propres et met en
danger son pouvoir, C'est ce qui se passera de façon chaque fois plus nette
depuis les journées de Février puis de Juin 1648 en passant par la Commune de
Paris jusqu'à principalement la vague internationale de 1917-37 ( de la
révolution russe jusqu'à la révolution espagnole ). Le prolétariat s'est
historiquement déjà montré en tant que force indépendante et qui plus est en
force internationale capable et désirant abattre l'abject système
d'exploitation de l'homme par l'homme.
Ce
que nous pouvons d'ores et déjà dire, c'est que le prolétariat par sa seule
existence, est la critique, la négation de ces formes d'existences et par
conséquent la négation de son existence même et de celle de la société divisée
en classes sociales. Le prolétariat en tant que classe n'a aucune autre classe
en dessous de lui' à exploiter et par sa révolution il ne peut instaurer que la
communauté humaine par la suppression des classes sociales. Mais notons dès
maintenant, que malgré l'expérience pratique du prolétariat en lutte, seules
des minorités peuvent être conscientes de cela au sein du capitalisme. Mais
nous y reviendrons plus loin.
La
conscience de classe n’apparaît donc pas subitement et encore moins mécaniquement, Entre la conscience d'appartenir à une classe et la conscience révolutionnaire
exprimant clairement théoriquement et
pratiquement la volonté d'une transformation radicale de la société, il n'y a
pas, il ne peut pas y avoir une lente évolution progressive. Ce processus se
fait lui-même par bonds quantitatifs et qualitatifs, par des bonds en avant
mais également par d'énormes bonds en arrière (ex: la domination quasi totale
du capitalisme sur le prolétariat grâce à la contre-révolution russe et au stalinisme).
L'existence matérielle d'une classe n'implique pas à elle seule une conscience
de classe et encore moins une conscience révolutionnaire. Un large extrait du
manifeste du Parti communiste de Marx et d’Engels le montre assez clairement :
"Le prolétariat passe par différentes phases
d'évolution. Sa lutte contre la bourgeoisie commence avec son existence même,
La lutte est engagée d'abord par des ouvriers isolés ensuite par les ouvriers
d'une même fabrique, enfin par les ouvriers d'une même branche d'industrie,
dans une même localité, contre les bourgeois qui les exploitent directement.
Ils ne dirigent pas seulement leurs attaques contre les rapports bourgeois de
production ; ils les dirigent contre les instruments de production eux-mêmes ;
ils détruisent les marchandises étrangères qui leur font concurrence, brisent
les machines, brûlent les fabriques et s'efforcent de reconquérir la position
perdue de l'artisan du Moyen Age“.
“A ce stade le prolétariat forme une masse disséminée
à travers le pays et émiettée par la concurrence. S'il arrive que les ouvriers
se soutiennent par l'action de masse, ce n'est pas encore là le résultat de
leur propre union, mais de celle de la bourgeoisie qui pour atteindre ses fins
politiques propres, doit mettre en branle ,1e prolétariat tout entier, et qui
possède encore provisoirement le pouvoir de le faire? Durant cette
phase, les prolétaires ne combattent donc pas leurs propres ennemi “
c'est-à-dire les vestiges de la monarchie absolue propriétaires fonciers,
bourgeois non industriels, petits bourgeois, Tout le mouvement historique est
de la sorte concentré entre les mains de la bourgeoisie. Toute victoire
remportée dans ces conditions est une victoire bourgeoise."
La lutte de classe
n'exprime donc pas en soi une conscience de classe révolutionnaire. L'histoire
montre uniquement que c'est dans la lutte que le prolétariat est susceptible de
se constituer en classe indépendante, en classe révolutionnaire et que c'est
par elle que se développe la conscience de classe, c'est pour cela qu'il faut
distinguer l'ensemble de la classe et les minorités s'étant appropriées
l'histoire de la lutte de classe et ayant une conscience plus ou moins claire
de l'objectif historique à réaliser ( ces minorités pouvant provenir de la
classe elle-même au cours de lutte et/ou de personnes sociologiquement
extérieures à la classe ouvrières mais ayant pris partie pour ce
qu'historiquement elle est supposée devoir être). Le prolétariat par sa
pratique a presque toujours tendance à dépasser la conscience qu'il a de cette
pratique, mais ce n'est jamais l'ensemble de la classe qui appréhende et tire
les leçons de la lutte de classe passée ou présente.
C'est dans cette mesure qu'un Lénine disait que le
prolétariat par ses simples luttes défensives ne pouvait accéder qu'à une
conscience trade-unioniste et concluait qu'il n'y avait pas de pratique
révolutionnaire sans théorie révolutionnaire, c'est-à-dire sans avant-garde
organisée, mais cette conception pour le moins bancale ainsi que l'ensemble de
la théorie qui s'y rattache par rapport à 1'organisation ( le savoir
révolutionnaire ) et la classe négligent totalement l'aspect dialectique
de la question même si leurs défenseurs le revendiquent. En effet s'il est
vrai que sans théorie révolutionnaire il n'y a pas de pratique révolutionnaire,
il n'en est pas moins vrai qu'il n'y a pas de théorie révolutionnaire sans
pratique révolutionnaire. La théorie ne tombe pas du ciel, elle n'est pas le
produit exclusif d'un génial cerveau émancipateur. Marx n'a-t-il pas rectifié
sa position sur l'Etat après l'expérience pratique de la commune de Paris ? Les
bolcheviks d'ailleurs n'ont-ils pas changé leur position sur les conseils
ouvriers après l'expérience pratique de 1905 en Russie ?
Critiquer,
rejeter, combattre cette conception de l'organisation et par conséquent la
théorie suivant laquelle la conscience révolutionnaire ne peut venir que de 1'extérieur
de la classe, ne signifie pas que nous tombions dans l'absurde croyance
mythique d'un prolétariat devenant spontanément révolutionnaire, à moins
d'inclure dans cette spontanéité la pratique d'éléments plus déterminés œuvrant
dans la lutte prolétarienne pour la disparition des classes sociales. Mais
dans cette hypothèse Lénine, Bordiga, ou tout autre "bestial dirigeant
bureaucratique" font partie de cette spontanéité car à moins de croire aux
miracles et à la communion solennelle, aucun mouvement social n’apparaît
sans la-détermination plus ou moins consciente d'une de ses parties, aussi
infime et aussi anti-dirigiste soit-elle.
Par conséquent, les
révolutionnaires organisés ne se trouvent ni au-delà ni en deçà du prolétariat,
ils en font tout autant partie que n'importe quel comité d'usine, quand comité
révolutionnaire il y a. Leur intervention au sein de la lutte de classe
doit donc être totale à tous les niveaux (organisationnel, politique et social)
et tant mieux si le mouvement social dépose leurs propres conceptions dans la
lutte. Malheureusement nous n'en sommes pas là. C'est pour cela que les
argumentations du type : "pas la peine d'avancer des revendications en vue
d'attaquer le capitalisme, c'est à la classe de le faire, elle l'a déjà fait ,
pas la peine de contribuer à 1!organisation du prolétariat, c'est au
prolétariat de le faire, il en a déjà donné la preuve, c'est pour cela qu'elles
sont d'une inconséquence totale" Car au nom d'un démocratisme à toute
épreuve cette argumentation résulte tout aussi anti-dialectique et en tout cas
beaucoup plus inopérante ( en bien ou en mal peu importe ici ) que la position
du Parti ou de l'Organisation infaillible s'octroyant la possession exclusive
de la conscience de classe qu'elle va gracieusement offrir au pauvre petit
prolétariat inculte.
Ce n'est pas l'acceptation des termes Parti ou Organisation qui
changeront quoi que
ce soit, si dans la pratique, malgré la propagande de principe, on s'en remet à ce qui est
faussement appelé spontanéité. Si l’on affirme que les révolutionnaires sont
une partie plus
consciente et décidée de l'ensemble du prolétariat il faut également affirmer
qu'ils font partie de la spontanéité de classe. Sans quoi qu'on “le veuille ou non“
on se situe comme élément étranger au mouvement historique de classe.
Article paru dans Alarme No 11 Jan. Fev. Mars 1981
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