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05/02/2016

TAILLE DE FAUSSES IDÉES

"Parmi les groupes plus ou moins révolutionnaires qui existent sur plusieurs continents (...) la maigreur et l’incongruité théoriques des uns et des autres atteint une borne au-delà de laquelle on ne voit plus rien".
Article paru en 1976. Alarme n°13 réédition n°40 octobre 1988 (40 ans après, rien n’a changé)

CONSCIENCE RÉVOLUTIONNAIRE ET  CLASSE  POUR  SOI

S'agissant des problèmes posés dans le monde actuel, qui sont ceux de la classe révolutionnaire, les groupes mentionnés ont dépassé à cette date, et de bien loin, la borne que nous avons indiquée il y a douze ans. Nous allons le préciser, car il ne s'agit pas de parler tout bonnement, ni de griffonner des pages et des pages pour peu de chose ou pour embrouiller, vice souvent étalé aujourd'hui comme une qualité.

La maigreur et l'incongruité théoriques principales, d'où en jaillissent d'autres, on la trouve dans l'estimation de la nature de notre époque. Tous répondent : "de très grande concentration mondiale du capital et de décadence" (toute exception se situerait idéologiquement à droite et ne mérite aucun commentaire). La maigreur et l'incongruité apparaissent dès qu'il s'agit de signaler le pourquoi et le comment de la concentration et de la décadence. Pour ce qui est de la première, la plupart se limitent à constater le fait, à l'instar du mouvement révolutionnaire entre les deux grandes guerres. Certains, cependant, portent l'absurde au comble en niant qu'il y ait croissance au-delà du cycle guerre- reconstruction-guerre. Ils interdisent au capitalisme mondial de dépasser le niveau de ce qu'il a détruit.

D'autres groupes, sans donner dans un travers aussi risible, acceptent l'idée de cycle, sauf en cas de Révolution, il va soi. Cependant tous ignorent que la concentration énorme du capital, quelque volume qu'ils lui accordent, a été rendue possible grâce à la défaite du prolétariat entre les deux guerres, prolongée après la dernière. Mais avant de revenir sur cela, il faut éclaircir où se trouve l'origine de la décadence, car il s'agit là de la principale caractéristique de l'actuelle période historique. Tous les groupes, sans exception connue, la voient dans une impossible croissance des instruments de production au sein du capitalisme actuel. Elle-même pousserait à la crise de surproduction dont ils ont tant jasé et celle-ci, à son tour, moyennant le chômage à grande échelle, engendrerait la mobilisation des masses et la conscience révolutionnaire. C'est ça leur matérialisme. Comme démonstration de l'existence de la crise ils présentaient le chômage, tandis que manquait ce qui blesse le capital, c'est-à dire ce qui origine cette sorte de crise. Outre cette bourde-là, les groupes en question se sont vu infliger un double démenti par le chômage. Ils attendaient une augmentation des luttes et leur radicalisation ("accélération de l'histoire", entendait-on dire d'une voix grave). Comme à dessein pour leur fermer la bouche, le nombre des luttes diminuait à proportion de l'augmentation du chômage, alors qu'elles se multiplient avec sa diminution.

L'événement capitaliste le plus important des dernières décennies a été l'avance prise par la technologie japonaise, rapetissant toutes les autres, celle des USA comprise. Les occidentaux, pour faire face à la compétitivité nipponne, entreprirent le renouvellement de leur machinerie et la réduction de leur main d'œuvre. C'est ce dernier facteur que les susdits groupes, superficiels, interprétèrent comme leur crise tant annoncée, prolégomènes d'une commotion révolutionnaire mondiale... ou de troisième guerre. Vingt années de leur, vie et des montagnes de publications gaspillées pour se voir finalement réfutés, sans appel possible, par la robotique et l'électronique qui prolongent la croissance capitaliste, seulement réduite auparavant.

Que la décadence du système se manifeste par l'incapacité de développer ses instruments de production, c'est une idée qui vient aussi de la Troisième Internationale et du Programme de Transition de Trotsky. Tous les groupes mentionnés ont été leurs prisonniers, malgré les dénégations de la réalité vivante. C'est ainsi qu'ils sont allés se submerger dans leur propre gâchis. Ils désorientent idéologiquement le prolétariat et contribuent à sa passivité. Ils tombent dans ce qu'ils voudraient pourtant éviter.
Quant à nous, nous nous répétons à nouveau, en écrivant que la décadence capitaliste est engendrée et répandue par la croissance actuelle de ses forces de production. La dernière d'entre elles, plus importante que toutes les antérieures, coexiste avec la décadence et la sécrète. S'il est vrai qu'autrefois la croissance comportait un développement social, à présent elle l'attaque, le pervertit, car croissance des instruments de production sous leur forme capitaliste et développement social s'entrechoquent irréductiblement. Le second doit impérativement, à fin de reprendre, se débarrasser de l'autre. C'est celle-là la contradiction suprême du capitalisme, qui est déterminée par la force humaine de travail, le prolétariat dans son acception la plus large, dont la marche en avant exige la domination des instruments de travail, et par conséquent, celle de son propre devenir. Comme il a été exposé dans l'éditorial d'Alarme n° 39, ce qui engendre la décadence, c'est le même facteur qui avait constitué le côté progressiste du système, à savoir, la croissance productive des instruments de travail en qualité de capital créé par l'exploitation salariale. Dès lors, la décadence s'introduit dès que les instruments de production accumulés permettent le passage à un système de développement social en rupture avec la relation capitaliste entre instruments de travail et travail humain. Or ces mêmes groupes s'acharnent à nier la croissance industrielle, contre une écrasante réalité et avec une assurance d'irresponsables ; en tout cas, il leur échappe entièrement sa nature décadente et délétère. Et ils ne voient en aucun cas comment, de cette réalité mondiale, se dégagent des propositions révolutionnaires susceptibles de redonner vigueur à l'activité des exploités directement contre le capitalisme.

De toute manière leur échafaudage théorique s'écroule et jusqu'au sol les portant qui devient du sable mouvant. Leur raisonnement même augmente leur désarroi. En effet, si le capitalisme se trouve en circuit fermé guerre-reconstruction- guerre, une crise de surproduction devient quelque chose de chimérique, car il suffit au système de transformer en ferraille une partie de son outillage, par la guerre ou comme on voudra, pour entreprendre encore une reconstruction... et empocher toujours de la plus-value. Mais alors, d'où viendrait et quand apparaîtrait la combattivité ouvrière et sa conscience ? Ce même circuit fermé empêche de comprendre la cause de la passivité et du scepticisme des masses, tellement durable ; il empêche aussi de comprendre les tâches révolutionnaires à se donner, aux révolutionnaires comme à tous les exploités. La première situation n'a pas été le fait de la répression bourgeoise, mais de l'irradiation mondiale de la contre-révolution russe barbouillée en socialiste. Les tâches à se donner, par contre, exigent une importante reconsidération théorique, qui n'a pas été entreprise, ou bien mal, par les tendances critiquées ici.'

Comble de la gaffe, la troisième guerre mondiale, annoncée comme proche, sinon imminente, est en train de laisser là plantés ses crieurs, énième version. Ils la voient s'éloigner à leur horizon temporel, par effet des armes thermonucléaires, chimiques, etc. dont la portée exterminatrice met à nu la caducité, la corruption, l'ultime sentence technologique de la décadence comme un tout. On l'a vu lors de l'épisode des missiles à Cuba. Tout de même, le danger ne disparaîtra qu'avec la relation sociale qui l'engendre : capital/salariat.

Cependant, les groupes dont il a été question ici ne trouveront pas la liaison avec les agitations ouvrières à venir sans qu'ils taillent eux-mêmes leurs idées dépassées ou entièrement fausses. En un mot, il faut prendre une nouvelle envolée théorique, ce qui revient à dire, d'activité pratique. C'est cela, toute pédanterie bannie, la praxis. Mais au contraire, ils semblent s'agripper- à leurs aberrations. Seule Battaglia Comunista insinue un certain changement. Dans son numéro de juillet elle dit "ne pas faire référence tant à la crise de surproduction" qu'à celle de décadence. Cela suffit pour nier l'existence de la première, et qu'elle se produise ou non, la dépouiller des vertus qui lui étaient accolées auparavant. Si l'on tire conséquemment ce bout de corde, d'autres changements se présenteront en file indienne.

Des symptômes précurseurs de nouvelles ouvertures révolutionnaires s'aperçoivent aux milieux du fracas mondial. Ceux de plus grande importance, les voici : la reprise de la croissance capitaliste, dont la nocivité aggravée permettra au prolétariat de se dresser contre le système ; la connaissance généralisée de l'effroyable vérité sur la contre-révolution russe et le mépris des masses envers ses partis ; l'irréversible rejet des syndicats par les travailleurs ; la mise en évidence des nationalismes, guerrillerismes, terrorismes et similaires, comme le fait des sujets et des partis avides d'exploiter leurs propres co-nationaux ; la nécessité, chaque jour plus pressante, de supprimer tous les armements militaires et les armées sans exception ; la poussée des exploités, très persistante, quoique retenue pour l'instant, vers une société sans classes et hautement développée.
1976. Alarme n°13   réédition n° 40 octobre 1988
PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSONS-NOUS,
SUPPRIMONS LES POLICES, LES ARMÉES, LA PRODUCTION DE GUERRE, LES FRONTIÈRES,
LE TRAVAIL SALARIÉ ARMES, POUVOIR, ÉCONOMIE AU PROLÉTARIAT

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