Choose your language

15/10/2015

RÉAFFIRMATION


Article paru dans L'Arme de la critique N°1 - MAI 1985

Plus les années passent depuis plus la révolution espagnole prend de l'importance. Elle fut plus profonde que la révolution russe et plus ample par la participation humaine; elle éclaire des comportements politiques jusque-là flous et projette dans le futur d'importantes modifications tactiques et stratégiques. De sorte que, dans le domaine de la pensée, seules de méprisables imitations de théorie peuvent être élaborées, si on fait abstraction de la contribution de la révolution espagnole, précisément dans les aspects où elle contraste, en la dépassant ou en la niant, avec la contribution de la révolution russe.
La révolution balaya en Espagne les structures de la société capitaliste dans le domaine économique, politique et judiciaire, créant ou initiant des structures propres. Ce qui était donné par la spontanéité du devenir historique s'est converti de potentiel en réel, dès que, obstacles à sa manifestation, les corps de coercition furent dispersés. Ainsi, la révolution se profila sans équivoque, dès le premier instant, comme prolétarienne et socialiste. La révolution russe n'a pas détruit la structure économique du capital, qui ne réside pas dans le bourgeois ou le monopole, mais dans ce que Marx appelait la relation sociale capital-salariat ; après un instant de vacillement, elle fut transformée de privée en étatique, et le judiciaire et le politique réajustèrent ensuite autour d'elle et pour .elle, ainsi que les corps répressifs, armée nationale ' comprise, jusqu'à ce que le rapport capital-salariat acquière la virulence qui continue de le distinguer aujourd'hui. Ce fut donc une révolution démocratique ou permanente, effectuée par un pouvoir prolétarien, et morte en tant que telle avant d'arriver au stade socialiste qui l'a suscitée et auquel elle aspirait. Par conséquent, elle ne fut pas autre chose qu'une révolution politique. Et si eu cet aspect elle fut plus profonde que la révolution espagnole, la persistance du sus-nommé rapport social capitaliste a donné à la contre-révolution la facilité d'être politique aussi, et bien cruelle, à proportion de la pression de la révolution mondiale. Les deux caractéristiques ont été falsifiées à l'envie, à tel point que ces mensonges exercent aujourd’hui une influence délétère.
Précisément quand la révolution atteignait son sommet en Espagne, en 1936, la contre-révolution stalinienne consolidait en Russie son pouvoir pour de longues années, avec l'extermination de millions d'hommes. Par conséquent, son rameau espagnol eut délibérément, à partir du 15 juillet, un comportement, de porte-drapeau de la contre-révolution, caché au début puis ouvertement à partir de mai 1937, Avec une totale préméditation et d'après les ordres stricts de Moscou, il s'est lancé contre un prolétariat qui finissait d’achever le capitalisme. Ce fait, attesté par des milliers de documents staliniens de l'époque, représente une mutation réactionnaire définitive du stalinisme extérieur, en consonance avec la mutation antérieure de sa matrice, le stalinisme russe.
Un réflexe conditionné des débris de la IVe Internationale et d'autres qui la dédaignent, assigne au stalinisme un rôle opportuniste et réformiste, de collaboration de classe, comparable à celui de Kerensky ou Noske. Erreur grave, car le stalinisme a dirigé politiquement la contre-révolution, l'a mise à exécution avec ses propres armes, ses propres sbires et sa propre police en uniforme et secrète. Il s'est détaché immédiatement comme le parti d'extrêmes-droite ([réactionnaire dans la zone rouge, indispensable pour annihiler la révolution. De même qu'en Russie, et bien avant l'Europe de l’Est, la Chine, le Vietnam, etc, le prétendu Parti Communiste a agit comme propriétaire du capital, monopolisé par son Etat. Il est impossible d'imaginer une politique plus définitivement anti-communiste. Loin de collaborer avec les partis républicains bourgeois ou avec le parti socialiste qui avait encore une tournure réformatrice, ce furent ces derniers qui collaborèrent avec lui, apparaissant à sa gauche comme des démocrates traditionnels, les uns comme les autres étaient atones et serviles, contemplant l'habileté antirévolutionnaire consommée d'un parti qu'ils faisaient toujours reconnaître communiste. Mais ils laissaient faire car avec toute leur habileté, ils fléchissaient devant la marée ouvrière.
Comme on l'a vu dans le dernier chapitre de ce livre, le gouvernement Negrin-Staline fut loin d'avoir les caractéristiques d'un de ces gouvernements de gauche démocratico-bourgeois, vacillants entre une révolution à laquelle ils s'opposent et une contre- révolution qu'ils craignent et qui succombent face à la poussée de l'une ou de l'autre. Ce fut un gouvernement très fort, dictatorial;- et le premier hors des frontières russes, du nouveau type de contre-révolution capitaliste d'Etat caractéristique du stalinisme. Cette particularité dès avant le Front populaire, fut mise en évidence pour la première fois en Espagne, et a acquis depuis un caractère définitif. Tous les cas postérieurs le confirment de l'Allemagne de l'Est et la Yougoslavie, jusqu'au Vietnam et la Corée. Quel que soit le lieu où ce pseudo-communisme accapare le pouvoir, le prolétariat est ligoté, écrasé s'il résista, le capital et tous les pouvoirs se fondent dans l'Etat, et la possibilité même de l'évolution sociale disparaît pour un temps indéfini. Et ce n'est pas le visage hominidé –et non pas humain- maquillage créent des Carillo, Berlinguer, Marchais et autres, qui va changer ses intérêts fondamentaux, émanant de et coïncidant avec la loi de concentration des capitaux.
Un changement secondaire, mais important aussi et non moins définitif, s'est opéré dans les partis socialistes avec la révolution espagnole. Ils ont cessé de se comporter comme des partis ouvriers réformistes, pour s’intégrer sans réserve à la politique bourgeoise ... ou à celle du capitalisme d'Etat à la Russe, selon la pression dominante. Ils continuent à parler de réformes, mais il s’agît de celles qui conviennent le mieux à la survie du système capitaliste, et non de celles que l'authentique réformisme croyait pouvoir lui imposer, législativement, pour arriver évolutivement à la société sans classes en s’économisant la révolution . Le  réformisme  a donc été réformé par le capital.
Léon Blum l'a avalisé en reconnaissant qu'a l'avenir, lui et les siens ne pourraient être que de bons gestionnaires des affaires de la bourgeoisie". L'extraordinaire mouvement de la révolution de 1936, en agglutinant la convergence réactionnaire de l'Orient et de l'Occident, précipita aussi ce résultat, qui menaçait depuis 1914.
Quant à la tactique, la révolution espagnole infirme ou dépasse de loin celle de la révolution russe. Ainsi, la revendication d'un gouvernement sans bourgeois, dans le cadre de 1' Etat existant, si utile en Russie pour faire enlever le pouvoir aux soviets, n'avait pas de sens en Espagne et aurait eu un effet nul. Il en est de même pour le front unique des révolutionnaires avec les organisations situées immédiatement à leur droite. Lee bolchéviques le pratiquèrent, même avec Kerensky à des moments précis, toujours positivement. Mimer cette tactique en Espagne revenait à 6e jeter dans la gueule du loup et à contribuer à la défaite de la révolution. Ceux qui l'ont fait nous en ont laissé la plus tragique et irréfutable des preuves. C'est que, dès le début la menace la plus mortelle pour la cause révolutionnaire et pour la vie-même de ses défenseurs, provenait du parti stalinien ; les autres ne furent que des collaborateurs de second plan.
Le mot d'ordre "contrôle ouvrier de la production", encore en vogue parmi les gauchistes attardés, s'avéra très dépassé par les faits révolutionnaires, eux-mêmes principale source de conscience. Sans transition les travailleurs exercèrent la gestion de l'économie à travers les collectivités, bien que leur coordination générale fût obstruée et empêchée, par un Etat capitaliste se reconstituait dans l'ombre avec la participation de la CNT et de l'UGT. Au terme de cette reconstitution, la classe ouvrière fut expropriée et le pacte CNT-UGT qui en résulta fit des deux centrales les piliers d'un capitalisme d'Etat. Mais avant d'y arriver, le contrôle ouvrier de la production (de fait étatico-syndical) fut une manœuvre indispensable pour arracher progressivement la gestion aux travailleurs.

 C'est un service identiquement rétrograde qu'aurait rendu ce qu’aujourd’hui on appelle autogestion simple variante du premier en fait. Ce qui apparut de façon plus convaincante encore que dans d’autres pays, c’est l'impossibilité pour le prolétariat de contrôler l'économie capitaliste sans y être pris comme un rat dans un piège. Si la gestion est le pilier du socialisme, le contrôle (ou l'autogestion) est le dernier recours du capital en danger ou sa première reconquête dans des circonstances comme celles de l'Espagne de 1936.

La répartition des latifundios en petits lots n'a également servi que comme expédiant rétrograde, mesure aussi anachronique de nos jours que le serait la division des grandes industries en de multiples petites fabriques. D'autre part, organiser des Kolkhozes ou leur équivalent chinois, "communes agraires", c'est imposer une prolétarisation de la campagne correspondant au capitalisme d'Etat. Ces deux solutions furent dédaignées, également en faveur des collectivités agraires, qui comme celles des industries, réclamaient la suppression du travail salarié et de la production de marchandises, ce que de fait elles entamèrent.
En résumé, de nombreux points de référence qui avaient déterminé la tactique du mouvement révolutionnaire depuis 1917» et même depuis la Commune de Paris, furent dépassés et mis au rencart par la poussée grandiose du prolétariat en 1536. Le dépassement n’exclue pas, bien entendu, la tactique-même suivie ou proposée en Espagne pendant les années antérieures. Donc, il faut souligner que ce qui est préconisé dans la première partie de ce livre par rapport à la vieille tactique, fut également annulé par la phase chancelante initiée en 1936» Cela n'en perd pas pour autant sa valeur historique et critique, mais le réutiliser serait pure ineptie conservatrice.
Outre l'aspect tactique, toujours contingent, la révolution en Espagne a mis en évidence des facteurs stratégie que les nouveaux, transcendantaux, appelés à produire des actions de grande envergure et de grande portée. En effet, en deux ans, les syndicats furent reconnus comme co-propriétaires du capital, devenant par là même acheteurs de la force de travail ouvrière. L'enchaînement de l'achat d'avec la vente de cette même force à un capital non encore étatisé, fut définitivement établi. Projection stratégique : pour être en condition de supprimer le capital, les exploités devront détruire les syndicats.
Ce qui concerne la prise du pouvoir politique par les travailleurs est non moins important. Celle-ci était sujette par la théorie et par l’expérience russe de 1917 à la création préalable de nouveaux organismes, là-bas les soviets. La révolution espagnole la libère d'une telle servitude. Les organes ouvriers de pouvoir, les comité- gouvernements, surgirent, non comme condition de l'annihilation de l'Etat capitaliste, mais comme sa conséquence immédiate. Le résultat de la bataille du 19 juillet, irréfutable comme aucune définition théorique ne l'est, posa dans l'histoire cette nouvelle possibilité stratégique.
Comment et pourquoi les innombrables comité-gouvernements ne réussirent-ils pas à réunir en une entité suprême est dit dans ce livre à l'endroit qui y correspond. la portée mondiale d'une telle action d'éclat n'en diminue pas pour autant.
L'apport stratégique du prolétariat espagnol à la révolution en général, sans limites de frontières ou de continents, est décisif dans le domaine économique. Voici quel est-il, brièvement : pour aussi ouvrières que soient ses structures de la base au sommet, l'Etat les détruit s'il devient propriétaire des instruments de production. Ce qu'il organise dans ce cas, c'est le monopole totalitaire du capital et d'aucune façon le socialisme. Ceci corrobore et explique ce qui est advenu en Russie après la prise du pouvoir par les soviets.

Ce monopole est synthétisé par la nationalisation de l'économie qui trompe tant parce qu'elle exproprie la bourgeoisie et les trusts. Ce n'est pas l' expropriation du capital que produit une telle mesure, mais un réajustement, de ce dernier, accomplissement parfait de la loi de concentration des capitaux inhérente au système. Qu'elle soit atteinte par évolution ou par convulsion, et même par la lutte armée, ne change rien au résultat. Nous pouvons affirmer sans erreur possible, que là où le prolétariat s'appropriera l'économie ou sera en train de la faire, tous les faussaires postuleront la nationalisation, comme cela s'est passé en Espagne. Et les tendances qui ferment les yeux devant un témoignage historique aussi clair se condamnent à être à la traîne d'odieux régimes capitalistes (Russie, Chine, etc) ou bien à devenir elles-mêmes exploiteuses si par hasard le pouvoir leur tombait entre les mains.

Une généralisation théorique importante se déduit de ces expériences sociales aussi profondes qu'indélébiles: la révolution démocratique dans les pays arriérés est aussi irréalisable par la bourgeoisie que par le prolétariat en tant que révolution permanente. Les conditions économiques du monde, les exigences vitales des masses exploitées, en plus de la putréfaction du capitalisme comme type de civilisation, par-dessus le marché, font de toutes mesures non socialistes /les mesures réactionnaires.
Ce dont la classe ouvrière a besoin dans n'importe quel pays, c'est d'ériger une barrière infranchissable, un obstacle social qui l'empêche d* être obligée de se vendre au capital par "contrat libre", elle et sa progéniture, jusqu'à l'esclavage et la mort" (Marx).

Il lui faut pouvoir disposer à sa guise de toute la richesse, instruments de travail et plus-value, aujourd’hui propriété du capital, et établir comme premier droit de l’homme, le droit de vivre, travailler et réaliser sa personnalité sans vendre ses facultés de travail manuel ou intellectuel. Ainsi la société entrera en possession d'elle-même, sans contradiction avec ses composants individuels, les classes disparaîtront ainsi que l'aliénation qui, à des degrés divers, comprime ou fausse les personnes.

Juin 1977   G.Munis. 

 L'Arme de la critique N°1 - MAI 1985

[Le texte ici présenté a été augmenté par rapport à celui que “Le Prolétaire" a critiqué. Néanmoins, aucun changement essentiel n'a été effectué et les thèmes et conceptions critiqués à l'époque sont tout à fait identiques.]



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire