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BROUILLON THEORIQUE ET CLARTE REVOLUTIONNAIRE - (ALARMA 26-27, 1973)

G. Munis

Brouillon théorique et clarté révolutionnaire

(Alarma 26-27, 1973)

L’article publié par J. Allen dans Internationalism  n’est pas une critique de la brochure Les syndicats contre la révolution. Tout au plus il argumente ce qu’il peut sur ce que son auteur croit avoir compris de sa lecture et d’autres idées anciennes définies par le mouvement ouvrier. La réponse est donc superflue d’un point de vue théorique. Il suffirait de proclamer : ne se réfère pas à ce qui est écrit pour que tout lecteur averti vérifie, en confrontant les textes respectifs, qu’il n’existe aucune relation entre ce qui est critiqué et la soi-disant critique. Cependant il faut répliquer, non seulement en essayant d’éliminer le langage de sourd dans la discussion, mais également en éclaircissant certains points plus que troubles dans ce qui est exposé par la camarade Judith Allen.
La camarade a entrepris sa critique parce que dans mon travail elle ne trouve pas “une analyse développée des motifs de la transformation historique des syndicats”, “à peine une base imprécise”. Plus qu’une critique, elle veut présenter “une explication plus complète”, sans “empirisme”, ni “erreurs sur les causes de la transformation définitive des syndicats”. Tout d’abord il faut localiser cette explication. Elle commence ainsi, troisième paragraphe :
“Les bases fondamentales du syndicalisme moderne sont apparues dans tous les pays industrialisés comme réponse de la classe ouvrière aux conditions du capitalisme au XIX° siècle.”
Certes, mais cela est beaucoup mieux exposé et raisonné dans la partie de la brochure écrite par Benjamin Péret, et n’a rien à voir avec ce dont on discute. La camarade Allen ajoute aussitôt :
“Donc, le réformisme avait une base matérielle concrète dans la capacité qu’avait le capitalisme de concéder à la classe ouvrière des avantages croissants, proportionnellement relatifs à l’accroissement de la capacité productive. Le mouvement syndicaliste était fondamentalement consacré à des fins réformistes, en tant que le capitalisme était capable de concéder des réformes, les idées révolutionnaires étaient minoritaires.”
Que la camarade Allen excuse la brusquerie avec laquelle je me vois obligé de lui dire que cela n’est pas le début d’une explication, mais l’introduction à un casse-tête théorique. Avec elle, nombreux sont les révolutionnaires pour qui concessions du capitalisme au prolétariat et réformisme sont une et même chose. Qu’ils prennent la peine de lire ou relire Réforme ou révolution de Rosa Luxemburg. Quand un révolutionnaire emploie le mot réformisme il ne doit le faire qu’avec l’acception qu’il a acquis avec Bernstein, Hilferding et compagnie, à savoir la prétendue possibilité pour la classe ouvrière de modifier évolutivement et légalement la structure capitaliste jusqu’à l’aboutissement du socialisme.
Le capitalisme n’est pas et n’a jamais été réformiste comme l’assure la camarade Allen. Son aptitude à se transformer et à concéder au prolétariat est congénitale au système, elle est inscrite dans le rapport social capital-salariat. Consultez ce pauvre et ignoré Karl Marx. Employé comme le font Allen et beaucoup d’autres, il faudrait considérer comme réformiste toute amélioration consentie par le capital, de plein gré ou contraint ; le capitalisme lui-même en tant que système serait ou aurait été un système réformiste au sens strict, celui de Bernstein. Et poursuivant jusqu'au bout la logique en mouvement de cette identification, ceux qui l’incorporent à leurs notions, même par inadvertance, sont pris dans le réformisme. Pour insister sur cela, relisons ce qu’a écrit avec un propos si profond la camarade d’Internationalism :
“Contrairement à l’affirmation de Munis, selon laquelle les syndicats ont abandonné leur fonction réformiste en adoptant une position réactionnaire, c’est en fait le réformisme même qui est devenu réactionnaire au sein du capitalisme actuel. L’ensemble du programme réformiste a cessé d’être valable et ne peut plus servir que comme diversion . . . etc.” (paragraphe 14).
Le programme réformiste est devenu réactionnaire, il a cessé d’être valable. Il a donc été valable et non réactionnaire dans la conception de notre ou nos critiques. Il y a chez eux un penchant réformiste rétroactif susceptible de devenir actif et actuel, si sous quelque prétexte ils arrivaient à se convaincre que le capitalisme aujourd’hui arrive à faire des concessions à ses exploités. C’est à cela qu’aboutit ce mélange théorique inadmissible entre améliorations de la classe ouvrière au sein du capitalisme et conception réformiste de la lutte ouvrière. Cette dernière n’était pas “le pur aspect du réformisme” mais son seul aspect, et ni elle ni les concessions faites au prolétariat n’ont jamais eu le caractère nécessaire que leur attribue J.Allen pour tout le siècle antérieur, et encore moins une signification révolutionnaire. Il est difficile, par conséquent, qu’ils l’aient perdu. Les syndicats n’ont pas pu non plus abandonner une position réformiste qu’ils n’eurent jamais, contrairement à l’opinion que nous impute la camarade nommée ci-dessus. Ceci est dit plus d’une fois dans Les syndicats contre la révolution, en commençant par le texte de Péret.
Selon sa conception, le réformisme est toute une époque du capitalisme et du mouvement ouvrier en son sein, et elle est si incontestable que “les idées révolutionnaires étaient minoritaires”. Comment expliquer alors que malgré tout il s’agissait d’une minorité beaucoup plus forte, en nombre et en qualité, que les rares groupes où elles vivent confinées et à la fois “rachitisées” à notre époque, quand la nécessité de la révolution est beaucoup plus péremptoire ? Ce fait incontestable contredit l’interprétation du capitalisme-réformisme que la camarade Allen s’est façonnée. Son mystère apparent réside, je le dis en résumant au maximum, dans le fait que durant la vague révolutionnaire antérieure, première tentative de révolution mondiale, le prolétariat fut vaincu par celles qui semblaient encore être ses propres organisations, en premier lieu par la troisième internationale au service de la contre-révolution stalinienne russe, et en aucune façon par la bourgeoisie. Se forgeant dans le capitalisme d’Etat, la consolidation de la contre-révolution russe consolida le système mondial, lui permit sa croissance d’après guerre, et comme pourboire ramollit la pensée d’une grande partie de révolutionnaires. Voilà l’origine des pires aspects de l’actualité dans chaque pays et internationalement. Mais ici je me limite à constater qu’à chaque défaite de la révolution, le capitalisme trouvera un nouveau souffle et une croissance économique, sans rapport avec sa viabilité en tant que système.
Le plus fort argument qu’ajoute la camarade Allen à sa définition incongrue le voici :
“Au fur et à mesure que diminuaient les possibilités d’ouvrir de nouveaux marchés, la crise cyclique capitaliste de surproduction, se transformait en crise permanente d’un système obligé de se nourrir de sa propre destruction à une grande échelle. L’ère de la mobilisation militaire en masse, des dépenses énormes en armements, de l'Étatisation de l’économie, du souffle court de la soi-disant prospérité alors que les contradictions internes du capitalisme préparent de nouvelles et plus destructives crises et guerres, cette ère de décadence du système, met un terme à l’aptitude capitaliste de concéder d’importantes et durables réformes à la classe ouvrière, marque le début d’une période de convulsions sociales” (paragraphe 6).
Et paragraphe 10, la conclusion :
“Le réformisme étant une illusion dans la période de crise permanente, le rôle des syndicats consiste désormais à mobiliser la classe ouvrière derrière la bourgeoisie, en temps de paix comme en temps de guerre. Ils garantissent la subordination des demandes ouvrières au critère capitaliste d’augmentation de la productivité et de la compétition commerciale. Les syndicats assurent au système en danger, la canalisation paisible de tout mécontentement dangereux qui menacerait de l’abattre. Les syndicats sont devenus un pilier fondamental de la perduration du capitalisme.”
C’est avec cela que finit “l’explication plus complète”, sans “empirisme” de la nature des syndicats. Il n’y a pas d’autre analyse. Le reste de l’article – et en grande partie aussi – est une pure description d’événements ou de faits consommés, mis à contribution, pas toujours avec pertinence. Enfin, presque tout ce que cite Allen est erroné, et ce qui est vrai manque de base théorique ou ne sert pas pour ce qui est discuté. Pour voir plus clair il faut réduire:
1.     Les syndicats sont toujours réformistes ; ils n’ont pas changé.
2.     Ce qui a changé c’est le réformisme, valable à une autre époque, il n’est plus valable et est réactionnaire aujourd’hui.
3.     Il est réactionnaire parce que le capitalisme ne peut concéder d’avantages durables au prolétariat, une fois supposée sa carence actuelle de bases économiques réformistes.
4.     Enfin, le rôle réactionnaire des syndicats se limite à accrocher le prolétariat aux wagons de la bourgeoisie et à la sortir de mauvais pas (le texte dit “garantir”, “assurer” à la bourgeoisie, imprécision terminologique qui dépasse la pensée de l’auteur).
Pour commencer, ce qui est dit ci-dessus donne ce contresens : absence de base économique réformiste, mais continuité réformiste des syndicats. On a lu : “les syndicats garantissent la subordination des demandes ouvrières au critère capitaliste d’augmentation de la productivité et de la concurrence”. C’est-à-dire que le réformisme, selon la mixture introduite dans le mot par la camarade, existe toujours et se manifeste économiquement dans les revendications syndicales. De plus la camarade ne précise pas que l’augmentation de la productivité a toujours été la condition préalable ou la conséquence immédiate des concessions matérielles obtenues par les salariés. On ne démontre donc rien avec un tel fait qui n’est pas un argument.
En second lieu, le vrai réformisme n’a jamais été valable et a toujours été réactionnaire relativement aux nécessités et aux possibilités du prolétariat. Il n’existe plus, ses descendants ayant eux-mêmes reconnu n’être que de “bons administrateurs des affaires capitalistes” (Léon Blum) et se déclarant en fin de compte compatibles avec le système, une de ses fractions (social-démocratie allemande, italienne, suédoise, laborisme britannique etc . . .). Ca n’a aucun sens, pour ne pas dire pire, de parler de réformisme, qu’on l’applique aux syndicats, aux partis dits “socialistes” ou aux staliniens.
Par conséquent, pour ceux qui s’accordent avec la camarde Allen, la preuve du caractère réactionnaire des syndicats repose uniquement, exclusivement, sur l’impossibilité d’arracher des avantages stables. Cependant, c’est une simple affirmation qu’il faut confronter à la réalité, non une démonstration et encore moins une analyse théorique.
Je ne vais pas ici affirmer ou nier son exactitude, car peu importe dans les deux cas pour le problème posé. L’incompatibilité absolue des syndicats avec la révolution ne provient pas de la contingence d’avantages que l’on pourrait obtenir au sein du capitalisme, comme les raisons pour le renard de la fable. Même dans le cas contraire, se maintiennent l’incompatibilité et aussi le caractère réactionnaire d’une telle organisation. Ce qui engendre ce caractère est essentiel non accidental, intrinsèque et non extrinsèque aux syndicats ; ce n’est pas autre chose que  sa propre fonction revendicative. Ils sont directement intéressés à ce qu’il y ait quelque chose à revendiquer, chose impossible sans que le prolétariat continue indéfiniment à être prolétariat, force de travail salarié ; les syndicats représentent la pérennité de la condition de prolétaires ; vendre la force de travail à ses acheteurs est condition de son existence actuelle, en même temps que cela prépare son existence future, on le verra par la suite. Représenter la pérennité de la condition de prolétaire, c’est accepter et représenter aussi la pérennité du capital. Les deux facteurs antithétiques du système doivent être conservés pour que le syndicat réalise sa fonction. De là sa profonde nature réactionnaire, indépendamment des va-et-vient qui modifient en mal, en moins mal ou en bien, l’achat et la vente de la main d’œuvre, entourloupette clé du système. En marge de cette analyse, ou avec une fausse analyse, on peut bien sûr constater ce que sont en pratique les syndicats, mais sans découvrir le pourquoi, ce qui est indispensable pour anéantir son pouvoir.
La gauche communiste allemande n’a pas été plus loin que la simple constatation, et la raison qu’ils avaient par rapport à Lénine et Trotsky sur ce sujet est reconnue dans Les syndicats contre la révolution, contrairement à ce que me reproche J. Allen. La camarade, elle aussi, ne fait que constater mais sans l’excuse qu’avaient les communistes allemands, où à leur époque (1918-23) l’opposition des syndicats à la révolution (déjà vue en 1917 pendant la révolution en Russie) semblait une simple capitulation face à la bourgeoisie, une adaptation à ses intérêts. La vraie nature des syndicats apparaissait alors si imprécise que même quelques communistes de la gauche allemande, émigrés aux Etats-Unis, s’incorporèrent aux IWW, l’organisation anarcho-syndicaliste si puissante alors.
Répéter la constatation est le bagage anti-syndical de ceux qui s’accordent avec l’article d’Allen. Et la constatation, déductions tactiques mises à part, ne se distingue en rien d’important avec l’appréciation bolchévique qu’à fait sienne la IV° Internationale par la suite. Que les syndicats soient incompatibles avec la révolution n’est qu’une conséquence, et non la plus importante de sa propre activité comme organisme. La vente de la force de travail ouvrière, qui est sa spécificité, en fait un des piliers du système, inséparable de lui et modifiable avec lui. Mais la liaison des syndicats avec le monde de l’exploitation est beaucoup plus transcendante et dangereuse que ses plus sales accommodations avec la bourgeoisie et ses gouvernements. Ceux-ci préparent jour après jour, dans nos latitudes, une autre fonction à venir, en partie à l’aveuglette, en partie délibérément, sous l’impulsion de la loi de concentration des capitaux et en relation avec ce qui existe déjà dans une bonne partie du monde. En effet, à quelle bourgeoisie sont soumis les syndicats des pays où l’économie et le pouvoir politique se trouvent réunis dans l’Etat ? Tout simplement dans ces pays les syndicats ne sont plus vendeurs, mais acheteurs de la force de travail prolétarienne, comme partie du dépositaire général du capital qu’est l’Etat. Le serf s’est transformé en seigneur. Leur fonction par rapport au capital variable les a menés à la co-propriété indivise du capital constant. Le parcours du capitalisme individuel et celui des syndicats se fondent et se confondent dans la centralisation suprême de l’économie et du pouvoir politique.
Tout ceci est mieux développé dans l’opuscule qui nous occupe, Les syndicats contre la révolution. Si quelqu’un en doute qu’il le lise ou le relise, en particulier les dernières pages, car je n’ai pas l’intention de m’étendre ici en me citant moi-même. Ce qui est exposé me suffit pour dire à la camarade Allen : là se trouve la perspective mondiale en mouvement des syndicats comme partie du capitalisme en tant que système. Dans cette perspective doivent se cimenter la tactique et la stratégie des révolutionnaires, non dans les routinières, très incomplètes et des fois démagogiques accusations de soumission à la bourgeoisie.
De plus, il n’est même pas sérieux de dénoncer les syndicats pour leur incapacité à obtenir des améliorations qui d’avance, par principe – en réalité par article de foi – on déclare impossibles à obtenir. Le renoncement ou la hâte syndical pour l’obtention d’avantages, provient de l’absence ou de la présence, à chaque instant, de facteurs très divers, depuis la dépression ou la pression du prolétariat, jusqu'aux incidences politiques nationales et les relations inter-impérialistes.
Il est vrai que l’idéal des syndicats aujourd’hui est de revendiquer ce qui est sur le point d’être concédé par le capital, et de façon plus générale, ce qui cadre avec la programmation dirigiste. Nonobstant, leur nier tout autre possibilité n’est qu’obnubilation de ceux qui ne perçoivent pas que c’est précisément parce qu’ils sont partie intégrante du monde capitaliste que les syndicats et leurs mentors politiques peuvent aller aussi loin en concessions que le nécessite ce dernier. Ils seront le truchement de ces concessions et le cas échéant ils pourraient les forcer. Par conséquent, leur mise en accusation par les révolutionnaires, quelque soit leurs revendications, quelque soit ce qu’ils obtiennent, doit être basé sur le fait que chaque jour ils rendent plus pesant le pouvoir du capital sur le travail. Le problème de la classe prolétarienne est de se mettre en condition de n’avoir rien à revendiquer, et dans le plus immédiat, d’éloigner de ses relations avec le capital ces agents du marché du travail que sont les syndicats.
Et c’est cette nature des syndicats comme futurs co-propriétaires du capital et acheteurs de la force de travail, ce qui ne pouvait être perçu clairement durant les années 20 ; à tel point que personne ne l’a prévue. La chronologie de la lutte de classe, c’est-à-dire de l’histoire, s’impose ici. On ne peut reprocher sans légèreté à Lénine et à Trotsky de n’avoir pas compris un phénomène encore à peine ébauché. Combien l’ont assimilé aujourd’hui, même parmi les nôtres ? L’échec de la révolution, sa métamorphose en contre-révolution, a été nécessaire pour que le capitalisme en Russie, une fois rendue impossible la perspective de développement de la propriété privée, bourgeoise, s’approfondisse dans l’accumulation étatique, et pour que les syndicats, à leur tour, rendent totalement visible leur contenu, et apparaissent, pour ainsi dire, à nu.
Ce processus est celui de la dégénérescence du système capitaliste dans son ensemble, et donc il n’est pas rectiligne. Il a lieu avec des hauts et des bas dans le temps et surtout dans l’espace, c’est-à-dire, dans les différents pays. S’il semble incongru à la camarade Allen que je signale la transformation de la CNT espagnole en 1936-38, deux décennies après que le syndicalisme européen ait adhéré au sanguinaire patriotisme bourgeois, qu’elle se plaigne du processus historique lui-même ; moi je ne le fabrique pas. Par contre, la CNT tomba d’un coup dans le capitalisme d’Etat moyennant le Pacte CNT-UGT, sans passer par la dégradante défense nationale, comme tout le syndicalisme des belligérants en 1914-18. Il ne reste qu’à ajouter, pour éviter une vision unilatérale à ceux qui n’ont pas lu l’opuscule en question dans cette discussion, que les syndicats sont aussi, quoi qu’en disent leurs statuts, des entités politiques dominées par des partis et des tendances plus ou moins conscientes de leur appartenance au monde du capital. Pour cela même, une tendance révolutionnaire doit aujourd’hui se montrer aussi incompatible avec les syndicats et leurs mentors politiques que ces derniers le sont avec la révolution sociale.
Je cède maintenant une fois de plus la parole à Judith Allen :
“Que Munis n’ait pas assimilé complètement la futilité des formulations réformistes, est démontré par ses propositions touchant les revendications transitoires. Les réclamations de ‘réduction de la journée de travail à 5 ou 6 heures sans diminution de salaire’. de ‘se nier à toute augmentation de la productivité qui ne revienne pas à la classe ouvrière’, ‘de liberté complète dans les lieux de travail’ sont complètement utopiques au sein du capitalisme, comme le reconnaitra sans aucun doute Munis lui-même ( . . . ) Munis semble refuser le syndicalisme sans refuser complètement son contenu : réformisme vide, même sans se limiter à de simples revendications salariales. Prolongé hors des structures syndicales le réformisme peut être un grave obstacle au développement ultérieur de grèves sauvages. Une conscience partielle figée dans des programmes et consignes de transition, est l’instrument plus facilement coopté par la bourgeoisie. Des revendications utopiques ne peuvent mobiliser la classe ouvrière sur une base de classe, en particulier lorsqu’elles sont émises par des révolutionnaires dont les analyses démontrent leur futilité.”
“Dans la brochure de Munis, ces réclamations apparaissent comme un pur non sequitur à la logique des arguments.”
La rigueur terminologique est partout une partie constitutive de la rigueur théorique. Sans elle une discussion ne peut avoir lieu, parce qu’un même mot désigne des idées différentes pour les interlocuteurs ; sans elle, on peut encore moins faire une analyse sans équivoque d’un problème. Au début de cette réponse on a vu que la terminologie de la camarade Allen est si confuse qu’elle glisse trois notions différentes dans le terme réformisme : les revendications salariales, les concessions du capitalisme et le vrai réformisme. Dans la dernière citation elle abonde encore en y ajoutant deux autres notions, le “programme de transition” et des revendications comme les nôtres. Cinq notions distinctes dans un seul réformisme inexistant aujourd’hui partout dans le monde. C’est jeter des vocables-exorcisme les uns sur les autres, et peu importe comment ils retombent.
Tout d’abord ce qu’il faut répondre à notre aimable critique c’est que Munis est loin de reconnaître que les consignes qu’elle cite soient utopiques au sein du capitalisme. Elles ont été formulées tout en sachant que dans des conditions déterminées elles pourraient être réalisées dans le système capitaliste actuel ; en sachant de plus, que dans d’autres conditions elles pourraient être utilisées avec des vues contre-révolutionnaires. Il n’y a pas de trucs qui nous mettent à l’abri de ces pièges, parce que rien, absolument rien n’est à l’abri d’une utilisation perverse. Même pas les grèves sauvages, plusieurs fois utilisées avec une finalité syndicale et même stalinienne, même pas les consignes de “révolution communiste” et “d’abolition du travail salarié”, ne parlons pas des “conseils ouvriers” dans lesquels avec tant d’autres camarades Allen voit un talisman. Par contre, comme réalisations de la révolution en plein élan, les consignes en question abordent, avec d’autres non citées, l’abolition du travail salarié par les salariés eux-mêmes. C’est dans cette direction qu’elles visent. Mais sans aucun doute il est pertinent de se rappeler Marx ici même, vu la part d’hagiologie qui apparaît comme résidu de tant de consciences révolutionnaires. N’a-t-il pas répété que la solution du problème de la classe ouvrière doit commencer par une diminution importante de la journée de travail ? N-a-t-il pas insisté à satiété que le capitalisme est avant tout, l’extraction de plus-value ? Et que les augmentations de salaire que le capitalisme octroie, par voie syndicale ou par volonté propre proviennent d’une augmentation du produit de chaque travailleur, à qui l’on donne comme stimulant une part minuscule de son propre produit additionnel ?
Avec les cogitations de la camarade Allen – qui ne lui est pas privative répétons-le – réformistes seraient aussi les grèves sauvages et n’importe laquelle de ses demandes, et réformiste serait aussi la revendication même de liberté des grévistes poursuivis. Ils ne se rendent pas compte que même une modeste revendication de salaire – vite annulée même avant d’être obtenue – a une signification diamétralement opposée selon qu’elle est obtenue par la représentation syndicalo-capitaliste ou par la grève sauvage non retournée au bercail syndical. L’importance de ces mouvements réside beaucoup plus que dans leurs revendications, dans le fait qu’ils contribuent à rompre les menottes syndicales et à restituer au prolétariat sa combativité potentiellement invincible. Aujourd’hui la défaite d’une grève anti-syndicale est préférable à n’importe quelle victoire impartie aux syndicats. Celle-ci barre la route aux luttes révolutionnaires, celle-là jalonne et consent aux travailleurs une expérience propre.
Croire que le capitalisme ne peut rien créer ni concéder une fois sa phase décadente atteinte, assomption clé de la critique antérieure, se succède d’un texte à l’autre, depuis ceux de Lénine et de Trotsky jusqu’à ceux d’Internationalism et autres groupes proches ou adversaires, ceux des trotskistes actuels y compris. Et depuis lors, encore une fois les faits ont démontré le contraire. Cela a paru vrai quelques temps dans l’intervalle des deux guerres impérialistes, mais cette seconde post-guerre a donné lieu à une croissance énorme du capital et par conséquent du capital variable, c’est-à-dire de la masse salariale. Il y a eu augmentation de la consommation de chaque ouvrier, en même temps qu’une paupérisation terrible relativement à la totalité de richesse sociale. Nier cela est du pseudo-matérialisme, c’est accommoder les faits à une idée, qui devient par là-même préjugé. Mais ceux qui continuent coûte que coûte à proclamer cette négation, le font parce qu’ils ne comprennent pas qu’il puisse y avoir soulèvement du prolétariat et révolution, sans une catastrophe économique produisant nécessairement la conscience révolutionnaire chez des millions et des millions de travailleurs affamés. Ils contemplent la révolution comme résultat du non fonctionnement du système, au lieu de la voir comme réponse à son fonctionnement, dit de façon plus précise, à l’excès de ses caractéristiques fonctionnelles. A cause de cela, et non parce qu’il serait incapable de maintenir l’esclavage salarial à son niveau actuel, le capitalisme est un type de civilisation nocif et attentatoire au devenir immédiat de l’humanité. La décadence se manifeste en ce que ses vertus d’hier se transforment, tout comme ses défauts, en autant de plaies purulentes qui réclament le fer cautérisant de l’action prolétarienne.
Ce sont les révolutionnaires qui les premiers doivent acquérir une conscience de ce fait, afin de faire face au capitalisme ses syndicats inclus, avec des solutions de classe, c’est-à-dire, tendant à la disparition des classes, pour chaque problème et pour l’ensemble de ces problèmes. C’est l’objectif des consignes citées par la camarade Allen et d’autres résumées ainsi: pouvoir, armes, économie au prolétariat. Nonobstant, c’est important de le réitérer, même avec ça nous ne sommes pas à l’abri d’utilisations frauduleuses  ni de rétorsions contre-révolutionnaires antérieures ou postérieures à la prise du pouvoir par le prolétariat. Pour nous en protéger il est nécessaire que la production de marchandises soit remplacée par la production des biens consommables par ceux qui en ont besoin, sans achat, ni vente. Si la camarade Allen ou quiconque connaît un autre remède, qu’il veuille bien nous le révéler. Il s’agirait, on peut l’assurer, de magie, non de connaissance théorique.
Quant aux concessions possibles de la part du capitalisme, il suffit d’avoir vu, ou de connaître en détail un processus révolutionnaire, pour savoir qu’elles peuvent aller toujours très loin. A l’avenir, profitant de son expérience et des “visages humains” de tant de pseudo-communistes et pseudo-socialistes, il se trouvera dans des conditions de céder encore plus de terrain le cas échéant, en vue de les récupérer ensuite au double. Rien de plus élémentaire dans la lutte de classes.
Que la camarade Allen répète maintenant si elle le croit indispensable, que les consignes en question sont un non sequitur aux analyses dont elles découlent. Pour ma part je jette la plume.


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