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II. DÉCADENCE DU CAPITALISME

II. DÉCADENCE DU CAPITALISME

"Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner."
A plus de cent ans de distance, ces paroles du Manifeste Communiste retentissent encore comme une gifle sur le visage des oppresseurs. Jusqu'à présent, le fantôme du communisme n'a pas été exorcisé par la validité sociale du capitalisme, mais par l'apparition de nouvelles forces réactionnaires agissant au cœur même du prolétariat, à la tête desquelles se trouve le capitalisme d'État instauré en Russie par la contre-révolution stalinienne. D'innombrables révoltes dans le monde se sont ainsi soldées par des défaites, la survie d'une société décadente, la démoralisation du prolétariat. Le prolétariat demeure néanmoins la seule force capable d'en finir avec l'esclavage entretenu pendant des siècles par des sociétés d'exploitation et de tyrannie; mais une reconsidération idéologique est indispensable à la reprise de la pensée et de l'action révolutionnaire.
La société capitaliste a fait son chemin. C'est la plus achevée de toutes les sociétés fondées sur l'asservissement de l'homme par l'homme que le monde ait connues. Elle a, plus qu'aucune autre, développé les instruments de production, la science, la culture, la consommation générale et même la liberté, dans les limites où elle peut être utile à une minorité d'exploiteurs. Elle a fouillé le monde en quête de matières premières et de marchés, l'a unifié en introduisant partout ses rapports économiques; elle a accru numériquement le prolétariat et concentré la propriété soit dans un nombre de mains de plus en plus réduit, soit dans l'État, élargissant ainsi, plus que les sociétés précédentes, la séparation entre la capacité de travail naturelle à l'homme et les instruments de travail qui sont nécessaires à l'exercice de cette capacité. Par là, le mécanisme même du capitalisme l'a amené à créer les conditions matérielles pour l'anéantissement de toute société de classe. Jadis, les esclaves de Spartacus , les serfs des jacqueries ou les Sans-Culottes du XVIIle siècle se sont révoltés sans autre issue que d'être écrasés ou d'amener au pouvoir une nouvelle classe d'oppresseurs. Aujourd'hui, le prolétariat a, à sa portée, la possibilité de triompher dans chaque pays, sur toute la surface de la Terre, et d'aboutir à l'émancipation de l'humanité. Pour ce faire il doit prendre possession des instruments de travail dont il est frustré depuis toujours, restaurer l'unité entre l'homme et la nature - gage de toute liberté - et anéantir l'État. Plus que jamais, la révolte du prolétariat sera la révolte de l'humanité. S'il échouait dans cette oeuvre, l'avenir de l'humanité serait très probablement l'extermination par les armes atomiques, et, en tout cas, une nouvelle servitude pendant un temps indéfini.
Le capitalisme dissimule sa déchéance en propageant dans les classes moyennes l'illusion d'un redressement par sa propre "planification". Cet artifice ne peut masquer la vérité; dans la dégénérescence qui l'engage sur la voie de la barbarie, la société capitaliste est orientée vers le totalitarisme, expression de la concentration accrue du capital dans les grands trusts et dans l'État; ce processus est déjà en voie d'accomplissement ou pleinement accompli dans les principaux pays de l'Occident et de l'Orient ainsi que dans les pays arriérés du prétendu "Tiers-Monde". Il s'accompagne d'une diminution relative du niveau de vie des masses travailleuses, d'une chute verticale de leur consommation par rapport au produit de leur travail, d'une accélération épuisante du rythme de ce travail par l'imposition du salaire à la pièce, qui met les ouvriers dans l'obligation de solliciter des heures supplémentaires. Dans le domaine politique, ce processus se double d'une dictature militaire, clérico-policière, ou fasciste, ou d'un parti unique néo-réactionnaire qui se prétend l'incarnation du "Saint-Esprit" des masses. Dans tous ces cas, se produisent la suppression plus ou moins complète des libertés et la dégradation de la culture.
Un semblable totalitarisme repose sur une accumulation du capital et une industrialisation d'autant plus réactionnaires qu'elles planifient la non- satisfaction des besoins, la répression et le "lavage de cerveaux" systématique. Il peut avoir pour point de départ les vieux partis bourgeois. Dans ce cas, le pseudo-libéralisme fait place à un autoritarisme non déguisé qui prive la classe ouvrière de ses droits élémentaires. Il peut également résulter de la juxtaposition de ces anciens partis et de nouveaux éléments réactionnaires, dans un appareil de parti unique se confondant avec l'État et posant les intérêts du capitalisme en tant que système au-dessus de ceux des bourgeois considérés individuellement. Le fascisme et les régimes de nombreux pays nouveaux font partie de cette catégorie. Mais la forme du totalitarisme la plus achevée est incontestablement le stalinisme. En lui, l'État propriétaire unique des instruments de production, est directement constitué par la bureaucratie ex-ouvrière devenue un "capitaliste collectif" exerçant arbitrairement tout le pouvoir et dictant même ce que chacun doit penser.
Sous quelque forme que ce soit la société capitaliste ne peut plus offrir à l'humanité qu'un avenir de misère, de coercition économique et policière, de régression sociale et culturelle, et, pour comble, la guerre atomique. Bien que les forces productives aient atteint un niveau inégalé, leur développement est freiné en permanence par la forme de capital (privé, trust international ou d'État) qu'elles présentent partout aujourd'hui. Ce système est irrémédiablement rongé par la contradiction existant entre la capacité réelle ou potentielle des forces de production et les possibilités d'absorption du marché, de plus en plus rétrécies par le salariat. N'en déplaise à ceux qui parlent d'une nouvelle révolution industrielle; d'une économie d'abondance (affluent society), de l'intégration de la classe ouvrière, et autres opiacées du technicisme, le développement capitaliste des dernières décennies est rachitique et principalement dû à l'économie de guerre. Celle-ci a augmenté dans des proportions terrifiantes le nombre d'hommes affectés à des occupations parasitaires, et elle gaspille en armements des sommes astronomiques, si bien que la part du produit social qui revient aux travailleurs diminue sans cesse.
C'est là un des impératifs du système, que la production de guerre aura poussé à l'extrême. Il en résulte un malthusianisme économique généralisé, et une lente désagrégation sociale, voire technique. Ainsi, avec l'automation au service du capitalisme, le chômage s'étend aussi bien aux États-Unis qu'en Russie, tandis que l'épuisement physique fait des ravages parmi les travailleurs qu'elle emploie (Note 4). Même l'astronautique, gloire et fanfare publicitaire des grands impérialismes, est animée par des desseins homicides. Et pour chaque Gagarine et chaque Glenn, des millions d'hommes peinent pendant des heures interminables, la plupart sans satisfaire vraiment leurs exigences élémentaires.
Que les travailleurs s'emparent de l'appareil de production, qu'ils le remettent en marche au profit de l'ensemble de l'humanité, en abolissant d'emblée le capital et le travail salarié, et un essor technique et culturel aujourd'hui inconcevable deviendra alors possible, jusque dans les zones les plus arriérées. Dans le domaine économique comme dans le domaine culturel, les besoins de chaque individu, et ceux de l'ensemble de la société, ne connaissent pas de limites. Leur donner libre cours est l'objectif inséparable de la suppression des classes et de l'État que doit s'assigner, dès l'instant de son triomphe, la révolution socialiste. Dès le premier jour, la société de transition qui naîtra de cette victoire devra se diriger vers cet objectif. Elle ne devra pas perdre de vue un seul instant l'interdépendance étroite qui existe entre la production et la consommation. Dans la société actuelle, le profit qui s'intercale, de la première étape de la production à la dernière étape de la consommation, réduit tantôt l'une tantôt l'autre. Lorsque la consommation est restreinte, profit et production baissent- ce sont les crises dites à tort de "surproduction" - ils s'accroissent au contraire si la demande dépasse l'offre de la marchandise. Mais toujours la consommation des masses se voit réduite par le gaspillage des armées, des polices, des bureaucraties et de toutes sortes d'activités parasitaires, en même temps que strictement limitée par la loi de la valeur qui met un prix au travail et au produit de celui-ci, y compris aux connaissances scientifiques et à la culture en général. La taxation du prix du travail par l'État aggrave la situation de l'ouvrier, car elle le laisse sans défense devant le capital. Dans la société de transition, le profit, sous quelque forme que ce soit, doit être banni, fût-ce sous la forme des hauts salaires qu'il est susceptible d'adopter. Le but d'une véritable économie planifiée étant d'accorder production et consommation, seule la pleine satisfaction de cette dernière - et non le profit ou les privilèges, ni les exigences de la "défense nationale" ou d'une industrialisation étrangère aux besoins quotidiens des masses - doit être considérée comme étalon de production. La première condition d'une telle démarche ne peut donc être que la disparition du travail salarié, pierre maîtresse de la loi de la valeur, universellement présente dans les sociétés capitalistes, bien que nombre d'entre elles se targuent aujourd'hui d'être socialistes ou communistes.
Toute économie prétendue planifiée qui ne tient pas compte des nécessités vitales des masses, se trouve de ce fait orientée vers la satisfaction des besoins d'une minorité exploiteuse et dominante qui impose à la société les normes capitalistes les plus draconiennes, tout en se constituant en une sorte d'État policier. Elle relève de l'économie dirigée et, quels que soient ses succès industriels, elle contribuera seulement à pousser l'humanité vers la réaction et la décadence. Les gobe-mouches admirateurs des cheminées géantes et des indices de production sont imprégnés du principe fondamental de l'accumulation élargie du capital. Le socialisme scientifique, tel que Marx et Engels l'ont conçu et tel que les nécessités humaines le réclament, ne connaît d'autre impératif que ceux de l'individu, à commencer par le travailleur : sa satisfaction concrète, sa liberté, le plein épanouissement de ses facultés. Il faut abominer comme la peste ceux "qui placent la société au-dessus de l'individu" (K. Marx).


(4) Les ouvriers américains employés aux machines automatisées les appellent "men killers" (tueurs d'hommes). 


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